Et c'est reparti !
Chapitre 16 - Partie 1« La capture de Fierruj et la mort d’Hagas sont deux coups durs portés à notre cause. Mais ne désespérez pas. Ils peuvent tuer nos camarades, déjouer nos plans, ou même nous repousser dans nos derniers retranchements, mais ils ne nous vaincront pas. Ce que nous semons est appelé à croître. Ce que nous fauchons ne repoussera pas. Nous sommes ceux par qui la République vacillera, et ceux grâce à qui son système faible et lâche s’effondrera. La victoire sera nôtre. »Message d’Isak Corta aux autres chefs de la Brigade Stellaire.
Knight’s Blade, en orbite de Kuat, deux cent vingt-cinq jours AK.
En dépit de son jeune âge, Jagen pouvait se targuer d’avoir affronté un grand nombre de dangers aux formes aussi diverses que mortelles. Il avait survécu aux Hutts, aux turbolasers, aux lasers tout courts et même aux épreuves imposées par son père. Toutefois, il ne se serait jamais douté que son plus grand défi arriverait sous la forme d’un message d’invitation de caractère officiel.
Il lui parvint cinq jours avant la date fatidique, envoyé directement par le Bureau du Chancelier. Un texte court, lapidaire même, qui l’invitait à la réception organisée par le chef d’État dans un des dômes stellaires de Coruscant à l’occasion du Jour de la République.
Ils étaient en train d’effectuer les manœuvres d’arrimage à l’une des plateformes d’entretien des Chantiers Navals de Kuat lorsque la sonnerie caractéristique de sa messagerie sortit de sa poche.
— Déployez le sas n°27, ordonna Jagen à son équipage, avant de saisir son datapad.
Sa première impression fut une grande joie et la fierté d’avoir été ainsi honoré ; la cérémonie du Jour de la République, qui marquait dans le Calendrier Galactique Standard – tiré de celui de Coruscant – le début de la Nouvelle Année, était l’évènement le plus important qui soit, et les invités du Chancelier étaient aux premières loges des festivités. Puis vint la désillusion, cruelle et immédiate.
L’invitation était valable pour deux personnes.
— Manœuvre réussie, annonça le lieutenant Tinor à l’ensemble du première navette pour Coruscant décollera à 1025, je répète, 1025 !
La plupart des membres présents sur le pont, pressés de prendre congé et de profiter de leur permission de deux semaines, se dépêchèrent de se lever et d’éteindre leurs terminaux. Jagen savait qu’il devait agir vite pour avoir toutes ses chances.
— Vanya, voulez-vous bien m’accorder un instant ? demanda-t-il à sa chef de la sécurité.
— Oui, Colonel ? demanda la jeune femme en grimpant les marches pour parvenir jusqu’à lui.
— J’ai une proposition à vous faire.
À deux mètres de là, Syal Rodan tendit ostensiblement l’oreille.
— J’aimerais que vous m’accompagniez au repas donné par le Chancelier pour le jour de la République, dit-il sans reprendre son souffle.
Fierfek
! Pourquoi est-il si facile de haranguer ses troupes et si dur de parler en tête à tête à une femme ? — Puis-je vous demander en quel honneur ? répondit la jeune femme en rougissant légèrement.
Jagen hésita. Devait-il révéler la vérité sur ses sentiments, d’autant plus qu’ils semblaient réciproques, au risque de passer pour ce qu’on appelait vulgairement un « bourrin » ? Cela le gênait de procéder ainsi, en public qui plus est. Tinor n’était pas loin et Rodan montrait pour la poussière sur l’écran de son terminal un intérêt peu ordinaire.
— Eh bien, vous êtes une mandalorienne, et je pense que vous présenter au Chancelier pourrait…
— Le Chancelier sait sans doute très bien ce qu’il en est du peuple mandalorien, coupa brutalement Vanya.
Toute trace de couleur avait disparue de son visage.
Aïe. Un coup dans le vide, Jag.— Mais vous êtes également ma chef de la sécurité…
— Prenez un autre membre d’équipage, lança-t-elle sans détour. Le lieutenant Tinor, par exemple ?
L’intéressé releva brusquement la tête de son rapport, comme s’il était surpris de se trouver là.
— Êtes-vous libre pour le Jour de la République, Lieutenant ? demanda la mandalorienne sans accorder d’autre regard à Jagen.
Ce dernier devait tenter quelque chose. Il n’avait jamais eu recours à la manipulation mentale des Jedi, mais cela apparaissait à présent comme la meilleure des solutions. Il s’imagina projetant son esprit sur Tinor.
Réponds non. Tu ne peux pas venir.— Hélas non, je retourne auprès de ma famille, répondit-il. Demandez au caporal Rodan, peut-être.
La jeune femme, qui semblait avoir attendu cet instant, se leva et leur fit face, bien qu’étant à quelques pas en-dessous d’eux.
Une surprise glacée apparut dans les yeux de Vanya, vite rejointe par une lueur meurtrière. Jagen n’avait pas envie de perdre d’un coup toutes ses chances avec la mandalorienne.
Réponds toi aussi non. Tu ne peux pas non plus venir.— Ce sera avec plaisir, si vous le voulez bien, Colonel, dit Rodan en souriant.
J’imagine que cela ne peut pas marcher à tous les coups.
Et à présent, je suis coincé. Si je refuse, Vanya comprendra que je suis attaché à elle, et il vaut mieux ne pas trop lui donner ce genre d’emprises pour l’heure, puisqu’elle pourrait s’en servir pour exiger du soutien à son peuple. Et si j’accepte… Eh bien, je suppose qu’elle risque de ne pas apprécier.
Tant pis.— Très bien, répondit-il finalement. Je vous transmettrai les coordonnées du point de rendez-vous. Rompez.
La jeune femme n’était même pas au garde-à-vous lorsqu’il énonça cet ordre, mais il ne s’en formalisa pas, se contenant de lancer à Vanya un regard disant « Tu es contente ? ». Mais une part de lui prit en pitié son visage aux beaux traits magnifiés par la tristesse et… Oui, il y avait là de la déception.
Peut-être les choses iront-elles mieux la prochaine fois.Il ne pouvait que l’espérer.
************
Station Orbitale Perlémienne, en orbite de Coruscant, deux cent trente jours AK.
Cette planète marche sur la tête, constata Jagen avec tristesse en abordant le dôme de réception du Sénat.
Bien qu’ayant passé une grande partie de son enfance sur Coruscant, Jagen ne s’estimait pas coruscanti. Il y avait plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, il était issu d’une vieille famille corellienne, et il était inconcevable pour tout Corellien de faire passer Coruscant avant sa planète-mère. Ensuite, il ne considérait pas la capitale de la République comme représentative d’une galaxie toujours plus vaste et étrange, qu’il explorait désormais toujours plus. Ses voyages, aussi bien militaires que privés, lui avaient permis de prendre du recul sur le comportement des habitants de Triple Zéro – C’était son nom dans le jargon de la navigation spatiale – et sur leurs extravagances. Cette station en était une, à coup sûr.
C’était une grande station spatiale, dotée de toutes les installations de confort nécessaires, dont l’attrait principal était un immense jardin situé à son sommet et dont le dôme fait de transparacier permettait d’observer Coruscant et l’immensité de l’espace. Dans cette jungle artificielle de plantes exotiques – mais toutes inoffensives, par peur des accidents – des allées courbes permettaient aux groupes d’invités de circuler d’une clairière à l’autre sans avoir à se frayer un chemin dans les bosquets. Des buffets étaient installés à plusieurs points stratégiques, et des droïdes chargés de coupes de diverses boissons raffinées déambulaient en proposant des rafraîchissements à qui les regardait.
— Pourquoi ne pas faire un jardin au sol et laisser l’espace à des usines orbitales, comme sur Corellia ? demanda Jagen, stupéfait par ce manque de discernement.
— C’est la manière d’être des Coruscantis, répondit son père. La démesure, dans tous les sens du terme, partout et pour tout.
— Je vois ça…
Retenu au sol pendant quelques heures à cause d’une bête affaire administrative qu’il devait régler de toute urgence, Jagen n’avait rejoint la station orbitale que lors de la rotation de navettes suivant celle empruntée par Syal. Parti du Sénat en compagnie de ses parents, ils s’étaient dirigés vers le complexe où Kalpana les attendait déjà.
Jagen jeta un coup d’œil dans un des miroirs du hall. Il conservait quelques traces de ses récents ennuis sur Opah Settis ; s’il était impeccablement rasé de près – comme il en avait l’habitude –, ses cheveux auburn étaient longs, un peu plus en tout cas qu’à l’accoutumée. Il n’avait pas encore eu l’occasion de se les faire couper, et en se voyant à présent, il se demandait si cela valait vraiment le coup. Ils étaient en tout cas impeccablement lissés, ce qui renforçait ce côté sérieux et rigide du port de l’uniforme ; celui de ce soir était une nouvelle fois blanc, la plaque d’identification sur le cœur, comme l’imposait le protocole. La seule concession purement esthétique était une épaulette de tissu savamment pliée sur son côté droit, une pièce bleu sombre où ressortaient les armoiries des Eripsa en argent luisant.
— C’est Darus qui a construit ce dôme orbital, expliqua Saron. C’était un moyen pour lui d’exprimer sa gloire, et autres idioties de ce genre…
— Penses-tu que Theran sera là ? lui demanda Palina.
— Je l’ignore, Maman, répondit Jagen. Peut-être. Maintenant, si ça ne vous dérange pas, je suis…
— Colonel ? fit une voix à quelques mètres de là.
Il se retourna brusquement en entendant cette voix familière. Syal l’attendait. Mais ce n’était pas le caporal Rodan tel qu’il la connaissait.
Elle était…
Ah, quel terme employer ? Belle est un euphémisme. Magnifique ? Éblouissante ? Resplendissante ?Syal portait une splendide robe écarlate très simple dans sa coupe et son ornement, si bien que la perfection de son corps – oui, on pouvait bien parler de perfection à ce niveau-là – ressortait merveilleusement bien. Ses cheveux, bien coiffés comme à son habitude, étaient passés derrières ses petites oreilles ornées de boucles dorées. Comparée à la plupart des femmes présentes, elle n’avait que peu de maquillage, et cela lui convenait très bien. En fait, tout semblait conçu pour exposer aux yeux de tous ses atouts naturels. Le décolleté, en particulier, paraissait n’exister que pour attirer vers lui tous les regards vagabonds.
Pense que ce sont des larves de hutts, se martela Jagen pour éviter d’en faire le centre de son champ de vision.
Pense que ce sont des larves de hutts.Son père se rapprocha et lui glissa à l’oreille.
— Eh bien, je comprends mieux pourquoi tu veux si vite nous abandonner…
Palina donna à son mari une tape qui se voulait réprobatrice sur l’épaule. Jagen se sentit soudainement gêné.
— Papa, Maman, je vous présente le caporal Syal Rodan, officier des communications du
Knight’s Blade. Syal, voici mes parents, Saron et Palina Eripsa.
— Je suis ravie de vous rencontrer, répondit la jeune femme en serrant la main de Palina.
— Moi de même, déclara Saron, qui au lieu de serrer la main qui lui était tendue s’inclina légèrement et la porta à sa bouche pour y déposer un baiser. J’ai toujours su que j’aurais dû m’engager dans l’armée…
La claque de rappel de Palina se fit cette fois-ci plus forte. Jagen faillit éclater de rire devant la scène, et se rendit soudainement compte qu’il avait affreusement chaud.
Mais c’est normal, non ? On est dans une serre, après tout, c’est naturel qu’il y fasse chaud ?Sa gêne devait se voir, puisque sa mère tourna la tête vers lui avec un petit sourire.
— Tu devrais aller boire, Jag, dit-elle d’une voix douce. Même si le rouge et le blanc vont bien ensemble, je ne suis pas sûr que ce soit bon pour toi…
Jagen acquiesça distraitement et invita Syal à le suivre, malgré la moue désapprobatrice de sa mère.
Ils empruntèrent un petit escalier en pierre qui les mena dans une enclave aldéranienne. Là, il y avait plusieurs tables couvertes de rafraîchissements légers. Il offrit une coupe à son invitée, puis en prit une autre pour lui.
— Je suis ravie d’être ici, Colonel, déclara Syal après qu’ils eurent trinqué.
— Appelez-moi Jagen, je vous en prie, déclara-t-il avec un sourire. Nous ne sommes pas en service.
— Je sais, c’est juste… Enfin, vous comprenez ? La difficulté à placer des limites entre la vie privée et la vie professionnelle ? Dans notre métier, c’est terriblement dur à établir.
— J’en suis bien conscient.
Il avala une autre gorgée. Bien que froid, le breuvage ne parvenait pas à baisser sa température corporelle anormalement élevée. Il parcourut des yeux le buffet à la recherche de glaçons.
— Mais il est nécessaire de garder un certain respect de la hiérarchie, ajouta-t-il après un moment de réflexion. Sans cela, nous ne vaudrions guère mieux que les pirates que nous traquons.
— Je suis d’accord, admit Syal. Mais je ne remettais pas en cause cela. Je parlais plutôt du fait que nous devons nous tenir prêts à tout instant…
— Et encore, nous ne sommes pas en guerre.
— Ce n’est pas ce que vous disiez ces derniers temps.
— Je sais. Disons que ce n’est pas une guerre majeure. Nous avons encore des permissions, des fêtes comme celle-ci… Et la plupart des axes de communication ne sont pas menacés, on peut les emprunter sans déployer une flotte d’escorte… Il faut relativiser notre malheur. D’autres avant nous ont connu bien pire.
— Est-ce pour cela que nous ne pouvons aspirer à mieux ?
— Un médecin est-il mieux loti ? Ou un pilote de cargo passant des semaines à bord d’un vaisseau pour le compte de personnes qui n’ont que faire de sa vie ? Et les Jedi, y avez-vous songé ? Nous faisons partie la Marine de la République. Toujours vaillante, jamais vacillante. Cela impose des sacrifices, c’est vrai, mais le résultat vaut largement la peine.
— Pourtant, nous sommes considérés comme vos pilotes de cargo. Nous sommes les instruments de politiciens qui n’ont que faire de nos intérêts et qui nous utilisent pour servir les leurs, lança dans son dos une voix qu’il ne connaissait que trop bien.
Jagen prit le temps d’avaler une autre gorgée avant de se retourner.
— Parce ce que vous pensez que nous devrions prendre les décisions par nous-mêmes, Amiral Willspawn ?
L’intéressé eût un grand sourire ironique. Trevor Willspawn, fidèle à sa réputation, n’était pas en uniforme ; il avait choisi pour ce soir une grande tunique ample crème aux motifs mauves. À son bras, une jeune femme riait distraitement, comme si l’amiral venait de faire une plaisanterie particulièrement drôle qu’elle ne comprenait pas. Il lui adressa un léger signe de tête et elle s’éloigna en direction d’un autre groupe.
— Comme vous l’avez dit à mademoiselle Rodan, nous ne sommes pas en service ; appelez-moi donc Trevor. Et, pour répondre à votre question, oui, j’en suis convaincu. La plupart des politiciens du Sénat ne savent même pas faire la différence entre une batterie quadlaser à impulsion ionique et un turbolaser plasmique, mais ils pensent malgré tout être en mesure de nous dire comment utiliser notre puissance de feu.
— Ils ont en leur possession des données dont nous ne sommes pas informés, risqua Jagen.
— Et ils nous envoient à la mort sans nous tenir au courant. Comment pouvez-vous encore avoir autant foi en eux ?
— Amiral – Enfin, Trevor, si vous préférez -, leur but est de maintenir la cohésion galactique, tandis que le nôtre se résume en une simple appréhension des fauteurs de trouble. Il est naturel qu’ils coordonnent l’ensemble des services – Et, partant de là, la totalité du Département Judiciaire, dont nous ne sommes qu’une branche.
— Une branche, oui, justement. Voilà tout ce que nous sommes. Placés sur le même piédestal qu’une bande d’illuminés aux pouvoirs mystérieux. Vous trouvez ça valorisant, vous ?
— Il y a bien pire qu’être considéré comme l’égal des Jedi.
— Savez-vous pourquoi j’ai demandé votre suspension après l’incident de Denon, Jagen ?
Le jeune colonel serra les dents.
— Vous voulez dire : peu de temps après une opération commune où vous m’avez assuré de vos bons sentiments ? Non, je l’ignore, et j’aimerais bien comprendre. Est-ce parce que vous détestiez Aiden et que je suis son héritier ? Parce que vous n’avez pas accepté ma nomination ?
— Exact, répondit l’amiral. Vous êtes le jouet des politiciens. Aiden courbait l’échine devant eux en échange de sa précieuse flotte. On a vu ce que ça a donné. Quand il a disparu, Kalpana a compris que je ne me plierai jamais comme lui l’a fait. Il vous a donc bombardé second de la Flotte, avec autant de désinvolture et moins de problèmes que s’il nommait son secrétaire particulier. Et cela, voyez-vous, c’est une intervention intolérable du Sénat dans les affaires de la Marine.
— Vous exagérez, Trevor. Vous savez parfaitement dans quel état nous étions il y a cinq mois encore. Je suis loin d’être le seul officier à avoir été promu suite à la crise Katana.
— Vous êtes le fils d’un sénateur rallié à la cause de Kalpana. Faut-il que j’en dise plus ?
— Qu’avez-vous donc contre les sénateurs, Trevor ? lança une troisième voix non loin d’eux. Nous sommes loin d’être aussi terribles que vous le pensez…
Jagen tourna la tête en direction du nouveau venu. Portant une tenue qui n’était pas sans faire penser aux uniformes de la Marine – et qui était bien plus sobre que celles des autres politiciens présents ce soir-là –, Ranukph Tarkin les observait tous deux, un verre à la main.
— Certains d’entre nous sont même les tenants d’une politique plus favorable aux militaires qu’elle ne l’est actuellement.
— Cela reste à voir, Sénateur, répondit Willspawn d’une voix froide comme l’espace. À présent, si vous voulez bien m’excuser…
Il s’éclipsa aussi vite qu’il était arrivé, et Tarkin s’avança pour prendre sa place. Il serra la main de Jagen et celle de Syal avec une certaine distinction qui lui était propre.
— Vous êtes le fils de Saron, n’est-ce pas ? demanda-t-il, puis, sans attendre de réponse, poursuivit :
— Et votre charmante compagne ?
— Il s’agit du caporal Rodan, mon officier en communications, expliqua Jagen avec une certaine gêne.
— Vraiment ? Seigneur, seigneur, l’armée se porte vraiment mieux qu’on ne le dit… Mais nous pouvons faire bien plus. Quoi qu’il en soit, je suis ravi de vous voir ce soir. Vous avez fait forte impression ici, avec cet imbroglio sur Opah Settis !
— J’espère que c’est en bien.
— Naturellement, naturellement. Vous serez sans doute ravi de savoir que j’ai obtenu une subvention pour les réfugiés.
— En effet. C’est une bonne chose ; ils n’avaient pas besoin que leur situation empire.
— Évidemment. Mais les évènements qui se sont produits… J’ai entendu des rumeurs, ces derniers jours... Est-ce vrai que la Brigade Stellaire cherche à déclencher une guerre dans la Bordure ?
— Eh bien…
Jagen hésita sur la conduite à tenir. L’information n’aurait pas dû aller au-delà du bureau du Chancelier ; mais les fuites étaient nombreuses, et Tarkin, en tant que sénateur du système d’Eriadu – l’un des plus puissants de la Bordure – était sans doute l’un des mieux placés pour en être informé.
— C’est effectivement le cas, déclara Syal en le devançant.
— Hmm. Je ne vous cache pas que cela m’inquiète. Vous connaissez la Bordure, Mademoiselle ?
— Je suis originaire de Commenor, expliqua-t-elle tout en chassant une mèche qui lui tombait devant les yeux. En fait, tout ce que je sais de la Bordure, je l’ai appris sur le terrain, depuis que j’ai été affectée au
Knight’s Blade. C’est vraiment un endroit étrange… Et sauvage.
— Tout dépend de l’endroit où l’on se trouve, répondit Tarkin en gloussant. Eriadu n’a rien de très sauvage.
— Mais c’est une exception.
— En effet. Donc, pour vous, un conflit est possible ?
Il s’adressait autant à Jagen qu’à Syal, mais une fois encore la jeune femme devança le colonel.
— Ce n’est pas possible, c’est probable et même imminent. Les planètes du Noyau jouissent d’une opulence largement supérieure à celle de la Bordure, et décident pour l’ensemble de la Galaxie. Mais les territoires en marge aspirent également à un semblant de progrès… Vous avez étudié les lois de l’électricité, Sénateur ?
— Cela date un peu…
— Mais vous savez sans doute que lorsque nous avons deux solutions, avec d’un côté des ions positifs et de l’autre des négatifs qui entrent en contact… Il y a réaction, et parfois explosion.
— Une métaphore intéressante. Quel est votre avis, Colonel ?
Jagen, qui avalait à ce moment-là un petit four, attendit quelques secondes avant de répondre.
— Je pense également qu’il faut que nous fassions des efforts pour intégrer ces espaces. Mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas nous préparer à une riposte d’un autre ordre…
— C’est aussi mon avis. Malheureusement, le Chancelier n’y prête pas attention… Peut-être saurez-vous le convaincre mieux que moi.
— L’avenir nous le dira.
— Tout juste. À présent, si vous voulez bien m’excuser…
Il s’éloigna à son tour, laissant les deux jeunes personnes en tête-à-tête.
— J’aimerais que vous réfléchissiez à ce que vous dites, lança Jagen à sa partenaire en murmurant. Ce ne sont pas des informations de pacotille que nous avons là.
— Il était au courant, de toute façon.
— C’était une rumeur, rien de plus. La perspective d’un conflit étendu est une de ces chimères que ressortent les politiciens de temps à autre… À présent, avec votre confirmation, il dispose de quelque chose de tangible.
— Et alors ? Il veut nous donner plus de moyens. Ce n’est pas une mauvaise chose.
— Plutôt que d’avoir plus de moyens, le mieux serait que nous sachions utiliser ceux dont nous disposons…
Jagen soupira.
— De toute façon, il est trop tard, à présent, reprit-il en baissant les yeux – puis en les détournant aussitôt, comme s’ils avaient été brûlés.
Syal lui répondit avec un sourire.
— Il n’est jamais trop tard.
************
— Jagen !
Le colonel se retourna en direction de celui qui l’appelait, espérant y trouver une aide salutaire. Mais le soupir qu’il poussa était plutôt de dépit que de soulagement.
Ait Convarion avançait vers lui, au bras de deux charmantes jeunes femmes qui avaient l’air de s’amuser, ou du moins Jagen comprit-il ainsi leur sourire. Le capitaine était à la fois radieux et joyeux, ce qui, aux yeux d’Eripsa, ne pouvait être qu’annonciateur d’ennuis.
— Oui, pas la peine de me le faire remarquer, dit-il d’emblée. Je suis perdu…
— Allons, Jag, ce n’est pas correct. Un officier ne se perd jamais dans son navire !
— Au cas où tu serais trop ivre pour le remarquer, nous ne sommes pas sur mon navire.
Ait regarda autour de lui, l’air hagard.
— Ah tiens, oui, en effet. Ça explique les arbres. Enfin bref, je te cherchais, justement.
— Je t’écoute.
— À cent mètres dans mon dos…
— En droite ligne ? Vu ton état, je ne suis pas sûr que tu saches garder le cap d’un speeder automatisé… Alors en marchant…
— Je croyais que tu m’écoutais ?
— Désolé.
— Bon, bref, je suis tombé sur ton père, et il te cherche, apparemment… Va voir de quoi ils causent, ou je ne sais quoi, qu’ils m’ont dit.
Jagen acquiesça.
— J’ai compris ce que tu veux dire, à peu de choses près. Tu viens avec moi ?
— Non, je vais reprendre cette agréable discussion avec ma charmante compagnie. Mesdames, saviez-vous que je suis un expert en artillerie lourde ? Je ne plaisante pas !
— Capitaine ? fit l’un des jeunes filles
— Très chère ?
— Vos techniques de drague sont aussi visibles qu'un gundark dans un massif de fleurs.
L’autre demoiselle gloussa.
— Ce n'est pas très gentil pour le gundark !
Et, lâchant le bras de Convarion, elles partirent toutes deux en riant abondamment. Le capitaine les regarda s’éloigner sans trop savoir quoi dire.
— Ah, les femmes… lâcha-t-il finalement, en partant à son tour.
Jagen se retint à grand-peine de l’approuver à haute voix.
Il se dirigea vers l’endroit indiqué par son ami. Il n’avait pas fait cinquante pas qu’il tomba sur un visage qu’il connaissait bien.
— Sénateur Antilles ! Je suis bien content de vous voir. Je désespérais de retrouver mon chemin…
— Ce dôme stellaire est un véritable labyrinthe, déplora l’aldéranien en serrant la main que Jagen lui tendait. Mais vous tombez bien, nous vous cherchions.
— C’est ce que j’ai cru comprendre, oui…
Le jeune homme suivit le politicien vers une clairière artificielle où étaient rassemblés deux de ses collègues, autour de leur chef, Kalpana. Outre Saron, il y avait Finis Valorum, vêtu d’une toge bleue sombre ressemblant assez à celle du chancelier. Jagen serra les deux mains qui se présentaient à lui.
— Ravi de vous revoir, leur dit-il. Et merci pour votre invitation, Excellence…
— Tout le plaisir est pour moi, répondit Kalpana. J’espère que vous vous amusez…
— Il n’aura pas de mal, vu sa cavalière… remarqua Saron.
Jagen lança un regard exaspéré à son père.
— En fait, je cherchais les… Enfin, les commodités, quoi, et quand je les ai trouvées, j’avais perdu mon chemin. Du coup, je n’arrive plus à mettre la main sur le lieutenant Rodan…
— À quel endroit ?
— Où est passée Maman ? répliqua le colonel à son père.
— Oh… Nous avons croisé le concepteur de ce dôme, et elle s’est mis en tête de lancer une nouvelle gamme de stations spatiales… D’ailleurs, Chancelier, si vous êtes intéressé…
— La folie de Darus me suffit largement, répondit Kalpana.
— Elle n’est pas la seule à avoir fait des rencontres intéressantes… dit Jagen. Je suis tombé sur Trevor Willspawn et Ranulph Tarkin.
En voyant les regards que s’échangeaient les sénateurs, il comprit qu’il les avait mis mal à l’aise.
— J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?
— Ce n’est pas contre vous, Jagen… commença Bail Antilles.
— Il faut que vous compreniez que les choses ont beaucoup changées récemment, expliqua Valorum. L’affaire Opah Settis a eu beaucoup de retentissement, par ici… Et le Sénat n’est pas épargné.
— Vois-tu, fils, il y a un nouveau parti qui s’est formé autour de Tarkin, en marge des factions de la Bordure et du Noyau. On les appelle « Militaristes ». Lorsqu’on a eu les premières informations sur la situation d’Opah Settis, Tarkin a fustigé une attaque contre la République, rendue possible par le manque de fermeté du Sénat à l’encontre des dissensions…
Jagen se rappela alors les allusions de Tarkin sur la politique du Chancelier…
— Tarkin veut nous précipiter dans un régime autoritaire, déclara Kalpana avec une amertume qui ne lui ressemblait pas. Lui et ses partisans veulent la constitution d’une nouvelle flotte d’assaut et de troupes terrestres. D’une véritable armée, en somme.
— Ce n’est pas déjà le cas ? demanda Antilles. Trevor est à la tête de quelque chose qui y ressemble fortement…
— Ce sont les Forces Armées de la République, expliqua le Chancelier. Pas l’Armée de la République. La différence peut paraître minime, mais elle est en fait capitale. Les F.A.R. sont une branche du Département Judiciaire, sous contrôle direct du Sénat, tandis qu’une hypothétique Armée de la République serait virtuellement indépendante et ne répondrait qu’au Chancelier lui-même… Et Tarkin veut mon poste, vous pouvez me croire.
— Tarkin est une belliciste, poursuivit Valorum. Il ne conçoit pas votre tâche de la même façon que nous. À ses yeux, les pirates ne sont qu’une partie d’un problème plus global de décadence galactique. Il serait prêt à déclencher une guerre pour faire ce qu’il estime nécessaire.
— Ce qui nous oblige à manœuvrer finement, approuva Kalpana. Notamment sur le budget de la Défense. Il souhaitait attribuer celui de cette année à la mise en place d’une nouvelle force d’intervention, censée remplacer la Flotte Katana.
— Et ? demanda Jagen. Vous avez réussi à le réaffecter.
— C’est toi qui nous a donné l’idée, déclara Saron avec un sourire.
— J’ai officiellement lancé le projet de la base de Centax, expliqua le Chancelier.
Jagen acquiesça sans trop savoir quoi répondre. Dans son esprit, le projet Centax était l’aboutissement d’une centralisation de la Flotte de la République, qui deviendrait ainsi plus autonome qu’autrefois grâce à des installations performantes adaptées à ses appareils. Lorsqu’il avait réfléchi au projet, il avait imaginé une répartition du coût et du chantier sur au moins deux décennies… Et il ne pensait pas en voir l’aboutissement au cours de sa carrière.
Mais savoir qu’il pouvait être autant accéléré pour de simples raisons politiques le mettait mal à l’aise. Les accusations de Willspawn lui revinrent à l’esprit.
Doucement, Jag, doucement. Tu viens d’obtenir ce que tu voulais, ce qui est déjà un bon point. Et si les conditions sont trop restrictives… Eh bien, tu aviseras en temps voulu. Mais pas de précipitation ! — Cette décision me ravit, Excellence, annonça-t-il alors.
— Parfait. Les travaux commenceront d’ici un mois. J’ai l’intention de montrer à Tarkin que non, je ne me désintéresse pas de la protection de notre espace… Ce sera fait rapidement et convenablement.
— Je vous fais confiance, dit Jagen en s’inclinant légèrement en signe de respect. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser…
— Un instant ! intervint Antilles. Iorus, vous avez oublié de lui parler de l’autre affaire.
Jagen regarda le sénateur d’un air perplexe, un court instant, avant de comprendre qu’il s’adressait au Chancelier. Maintenant qu’il y repensait, il n’avait jamais entendu le prénom de Kalpana ; c’était le genre de choses qui importaient peu, dans cette galaxie où les noms prenaient des centaines de constructions différentes. Mais à la réflexion, il ne lui semblait pas étonnant que la plupart des humains en aient un. Ils étaient si nombreux…
— C’est exact, approuva-t-il. Jagen, notre « hôte » est arrivé ici il y a quelques jours, et le Service d’Informations Stratégiques me presse d’autoriser un interrogatoire… Comme vous êtes à l’origine de sa capture, j’aimerais que vous y participiez. Demain, en début d’après-midi, au Temple Jedi.
Le colonel échangea un regard gêné avec son père.
— Pourriez-vous décaler cela dans la soirée ? J’ai… Disons, un empêchement.
— Je n’y vois pas d’inconvénient, répondit Kalpana.
— Alors c’est entendu.
Il fit signe à l’un des droïdes de service qui parcouraient les allées avec des plateaux chargés de rafraîchissements, et chacun prit une coupe. Jagen leva la sienne, et porta un toast.
— À la République, dit-il en les regardant. Demain, à cette heure, nous aurons sans doute en notre possession les informations qui nous permettront d’y remettre de l’ordre !