Chapitre 1Le sable était brûlant et le vent, brûlant lui aussi, lacérait le visage de Rei qui errait depuis maintenant trois jours dans cet enfer désertique. Chaque pas lui était de plus en plus insupportable. Sans eau ni nourriture, c'était un miracle qu'il ait survécu aussi longtemps, d'autant plus que la nuit, les créatures étranges étaient de sortie.
Cet homme était hors-norme, sans aucun doute.
Il portait un sorte de poncho sur les épaules qui tombait jusqu'à sa taille, fabriqué à la va-vite à en croire les bords du trou pour la tête. Il s'agissait certainement d'une couverture dans laquelle on aurait donné un rapide coup de couteau, faute de mieux. En-dessous il arborait une épaisse tenue de pilote, le genre tenue de survie que l'on enfile quand la coque du vaisseau est fissurée. Ses grosses bottes venaient compléter la panoplie du voyageur accidenté perdu sur une planète hostile et dont il ne sait absolument rien.
Autant dire que Rei n'était pas équipé pour une expédition dans les dunes, la chaleur se faisant rapidement sentir sous ces vêtements là. Mais au moins il était protégé des puissantes tempêtes de sable qui sévissaient sur ce monde inhospitalier. Et si sa tête n'était pas protégée, il pouvait toujours rabattre un bout d'étoffe, du côté non exposé aux bourrasques, sur son visage afin de ne pas prendre de sable dans les yeux. Et tant pis pour la visibilité. De toute façon, on ne pouvait rien voir à l'horizon, à part le scintillement faible de soleils jumeaux à travers un tourbillon de sable.
Mais sur quelle planète avait-il bien pu tomber ?
La tempête s'était peu à peu calmée durant et elle finit par s'arrêter. Elle avait désorienté Rei ainsi que sa boussole, usée par le sable et qui ne fonctionnait plus. Il lui était impossible de savoir si la tempête l'avait forcé à changer de direction ou non.
«Perdu», c'était bien le mot.
Le petit groupe de nomades arriva enfin au sommet de l'immense masse rocailleuse qu'il avait mit des heures à gravir, tant à cause de la tempête que du terrain, peu propice à une ascension en aveugle, par ses chemins étroits et accidentés en bordure de précipice et ses curieux «locataires» qui peuplaient les grottes alentour. Ces grottes qui inquiétaient beaucoup les voyageurs, même les plus intrépides et les plus expérimentés.
— Et ben, ça va pas ? taquina un des nomades en voyant un de ses camarades qui avaient la chair de poule à la vue de ces grottes. (Il sourit un bref instant et tapa amicalement sur l'épaule de son camarade.) Ne t’inquiète pas, reprit-il, y a rien là-dedans.
Son camarade, visiblement plus jeune, n'avait pas l'air bien convaincu, même s'il espérait que ce soit la vérité.
Plus loin devant, à la tête, les deux meneurs du groupe posaient leur équipement et commencèrent à donner leurs consignes.
— Allez, dépêchons-nous ! lança l'un des deux. Plantez vos tentes, mettez les vivres à l'abri et sortez le matériel.
Tous deux échangèrent brièvement un regard et surent ce que chacun pensait. Le premier meneur se détourna pour faire à nouveau face au groupe de voyageurs.
— Et sortez les armes... (Interloqués, les nomades commencèrent à s'inquiéter, surtout les plus jeunes.) On sait jamais, glissa-t-il enfin.
Il revint à côté du second meneur qui scrutait l'horizon, à la cherche de la moindre forme de vie suspecte, au moindre mouvement. Le désert s'entendait devant eux. Du haut de cette montagne de pierre, ils avaient un magnifique panorama sur l'immensité désertique. Seulement elle n'était pas un spectacle des plus réjouissants, au contraire.
— Batt ? dit-il en se penchant vers lui, pour s'assurer qu'il était parmi eux.
— Oui, répondit l'autre, qu'y a-t-il ?
Batt, deuxième leader, semblait feindre le calme. Il voulait donner l'impression que rien ne l'avait perturbé et qu'il avait juste eu un moment d'absence.
— Tu as l'air inquiet, mon frère.
— Bien sûr que je suis inquiet, Lain. Et nous le sommes tous. (Il s'efforça de sourire pour détendre l'atmosphère.) Et n'essaye pas de nier que tu l'es aussi, hein ! Tu es peut-être un costaud mais tu as quand même les chocottes.
L'air faussement moqueur — voire taquin — de Batt n'avait pas échappé à Lain. Son frère adoptait cette attitude depuis plusieurs jours et il comprit que quelque chose le perturbait. C'était un peu comme un système de défense contre l'éventualité d'être pris de panique, de perdre le contrôle. Cela agissait aussi comme un trompe-l’oeil indispensable car, en tant que meneur, il ne pouvait pas paraître perturbé aux yeux des hommes, cela aurait l'effet de les paniquer inutilement. Ils avaient avant tout besoin de solidarité. Mais Lain n'était pas dupe.
Ce dernier fit lui-aussi mine d'être détendu pour tester son frère, histoire de savoir ce qui se tramait.
— Dis-moi, dit-il avec détachement, tu crois que les armes nous seront vraiment utiles ?
Batt sursauta presque lorsqu'il l'entendit. Son expression avait changée, il croyait que Lain était fou de ne pas prendre la mesure de la situation, comme si il en était informé. Encore une fois, ce détail n'échappa pas au regard vigilant de Lain qui en rajouta une couche :
— C'est vrai quoi... Il n'y a pas
vraiment de quoi s'inquiéter.
Lain insista bien sur le «vraiment», espérant déclencher une réaction chez Batt. Et l'expression de ce dernier changea encore plus.
— Il faut se détendre, poursuivit Lain, personne ne viendra nous cherch...
Batt coupa subitement Lain dans son élan. Il allait énoncer une phrase lorsqu'il se rendit compte qu'il avait parlé trop trop fort et vit du coin de l'oeil que quelques uns de leurs compagnons s'étaient alarmés de leurs propos et regardaient dans sa direction. Il attendit que la tension baisse un peu avant de reprendre en chuchotant :
— Nous aurons besoin des armes, dit-il à l'oreille de Lain. Nous avons des pillards Tuskens aux trousses !
Lain essaya de garder son calme, de ne pas paraître trop alerté. Il balaya le campement du regard pour être sûr que personne ne les observait.
— Tu es sûr ?
L'affolement était perceptible dans sa voix, mais il s'efforçait tout de même de rester discret.
— Oui, reprit Batt. Ils nous suivent depuis trois jours.
— Et pourquoi tu n'as rien dit ?
— Je ne voulais affoler personne, toi compris. Imagine que tout le monde panique. Je veux éviter un bain de sang et les semer en partant de nuit. C'est pour ça que tu vas aller leur dire de prendre du repos maintenant. C'est compris ?
Hésitant, Lain fit signe de la tête que le message était passé. Il s’apprêtait à faire passer le mot quand une question tracassante lui vint à l'esprit.
— Alors, c'est ça qui t'empêche de dormir ?
Batt lui lança un regard interrogateur.
— Je t'ai vu la nuit dernière, ajouta-t-il, tu ne dors plus, tu restes assis sur ta couchette à attendre que la nuit passe...
Batt le stoppa d'un signe de la main, et repartit de son côté en ordonnant à Lain d'un ton sec de donner sa consigne.
Lain était sur le point d'aller auprès des autres nomades mais il fut encore une fois coupé dans son élan par un changement d'attitude de Batt. Celui-ci avait son regard tourné vers le désert, il venait de repérer quelque chose. Une forme de vie, peut-être, ou un véhicule. Il retourna auprès de son frère — tout comme les autres, eux aussi alertés — qui désignait de son doigt tendu une région précise du désert. Il se mit à tracer des petits cercles dans l'air, avec sa main. Lain suivit des yeux la ligne imaginaire qui partait de l'index de son frère et aperçut à l'autre bout un point noir en mouvement au beau milieu du désert.
De la main, Batt fit signe à Lain de lui passer ses jumelles, ce dernier s'empressa de les extirper de son sac et de les lui tendre. Batt observa un long moment à travers les macro-jumelles la silhouette qui se mouvait. Son verdict tomba : il était catégorique, c'était un humain.
Au grand soulagement de Lain, il ne s'agissait là que d'un homme seul, et non d'une tribu de pillards du désert.
— Je descends ! lança Batt. Toi Lain, tu restes en embuscade ici avec un sniper, au cas où, ajouta-t-il en désignant le bord de la falaise à son frère.
Batt grimpa sur un éopie et commença à descendre la montagne par le chemin sinueux. Lain, lui, était déjà en position.
Redescendre toute la montagne avait prit deux bonnes heures à Batt, ne pouvant pas chevaucher au galop dans les chemins accidentés de la montagne de rochers. Pendant ce temps, la silhouette s'était bien rapprochée de la montagne, sous l'oeil vigilant de Lain, perché sur la falaise. Ce dernier avait pu constater, à travers la lunette du sniper, que cet homme était fatigué et que sa démarche était de plus en plus laborieuse.
Au galop, Batt s'en approchait. Ne voulant pas effrayer l'homme, il réduit sa vitesse et n'emporta rien de suspect sur lui qui pourrait être perçu comme un signe d'hostilité. Il avait tout de même emporté un petit poignard, dissimulé dans sa manche.
Juste comme ça, pour être sûr.
Batt arriva finalement devant l'homme. Immédiatement il fut saisit par sa silhouette. Lain n'hésita pas, lui, à resserrer un peu l'étreinte de son doigt sur la gâchette du sniper. La silhouette impressionnante de cet étranger ne lui inspirait pas confiance. L'homme ne se rendit même pas compte qu'un éopie, pourtant pas empreint de la plus discrète des odeurs, s'était arrêté à sa hauteur, avec un homme le chevauchant.
— Qui êtes vous ? lança sèchement Batt, la main droite gardée à faible distance de sa manche gauche, prêt à dégainer son poignard si nécessaire.
Mais l'homme n'esquissa aucun geste. Il ne regardait même pas Batt.
— Oh ! insista Batt.
Lain était de plus en plus tendu. Sa main se crispait sur le sniper. Il devait se reprendre, se contrôler, sinon il risquerait de tirer et de toucher Batt si il n'ajustait pas sa visée.
Batt insistait encore si bien qu'on aurait dit qu'il s'acharnait sur cet homme. Il trouvait son attitude de plus en plus louche et il avait désormais sa main sur sa manche, cachée derrière la masse de sa monture.
L'homme finit par remuer la tête difficilement et la tourna vers Batt qui fut prit dans la profondeur obscure de ces yeux noirs, plus noirs encore que l'espace lui-même. Il marmonna quelque chose d'incompréhensible et fit un geste sous l'étoffe qu'il portait, ce qui alerta les deux frères. Le geste de l'homme n'était pas visible mais on aurait dit qu'il voulait saisir une arme. Lain se prépara à faire feu sur l'inconnu tandis que Batt avait déjà tiré son poignard de sa manche.
Les deux frères n'eurent pas le temps d'en faire plus. À peine eurent-t-ils exécutés leurs gestes que l'homme s’écroula de fatigue. Dans sa chute, une gourde tomba de dessous son étoffe. Une gourde vide.
Il voulait juste un peu d'eau.
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