Haha! Vous n'y croyiez plus, hein?
Onze pages, j'espère que vous aimerez mais ça devrait aller
Chapitre XII
An -26« C'est un bouleversement peut-être sans précédent qui s'est produit cet après-midi avec l'arrestation d'un grand nombre de personnes par les services de renseignements Chiss, dont beaucoup étaient des cadres de la flotte, de l'administration, des chefs d'entreprises publiques voir même des agents des renseignements Chiss eux-mêmes, tous accusés de collusion avec l'ennemi et de certaines malversations financières. Les faits en cause pourraient durer depuis plusieurs décennies au cours desquelles les accusés auraient fourni de l'aide aux forces armées Kryshzlas.
« Ces arrestations ont suscité un vif émoi au sein du Parlement de l'Ascendance, la nouvelle a été prise avec une extrême prudence, certains vont jusqu'à contester les méthodes du directeur des services de renseignements Hess'arga'nuruodo, l'accusant d'avoir bâclé l'enquête voir d'avoir délibérément ignoré le manque de preuves. La majorité est cependant favorable à ces arrestations actuellement et salue une opération brillante portant un coup sévère à la corruption. Une autre polémique vise la personnalité de la principale informatrice à l'origine de cette vague d'arrestations, Sev'rance Tann, dont on sait aujourd'hui de source sûre qu'elle était la meneuse de la mutinerie de Tehirahs qui a conduit à la mort du Colonel Daz'arde'nuruodo ; les responsables des renseignements Chiss et de la flotte ont cependant tenu à faire bloc derrière Hess'arga'nuruodo et sa controversée informatrice, assurant voir dans ces arrestations la fin d'une trop longue hypocrisie.
« Tout de suite, une interview de la directrice de la DSFC Arew'ona'myarn suivi de l'analyse de notre spécialiste... »Il était tard, la plupart des lumières s'étaient éteintes dans Csaplar ; la capitale de l'Ascendance Chiss dormait bien loin du ciel nocturne, sous les immenses glaciers de Csilla. Le Chiss à la barbe noire, accoutumé à travailler à ces heures d'obscurité, ne désirait néanmoins pas en savoir plus ; il coupa la chaîne holonet, retrouvant le silence de son bureau. Ce qui se dirait après ne l'intéressait pas car c'était le contenu de l'actualité à proprement parler, à savoir qui avait été arrêté et comment réagissaient les uns et les autres ; or, pour être lui-même partie de ce contenu, le directeur Hess'arga'nuruodo était bien placé pour le connaître... Par conséquent, seule la façon dont les choses étaient présentées au public l'intéressait.
Bien que n'ayant pas l'habitude de se perdre dans des considérations philosophiques vaseuses, il avait d'ailleurs toujours considéré qu'au fond, seule l'apparence comptait ; quelle importance avait ce qui ne transparaissait d'aucune façon ? Cela aurait tout aussi bien pu ne pas exister.
En l'occurrence, le traitement médiatique qui était le sien lui paraissait servir ses objectifs ; plus critiqué il serait à présent, plus grandi il en sortirait lorsqu'il aurait triomphé des Kryshzlas. Il n'avait eu à recourir à aucune relation pour cela, tout s'était passé très naturellement pour qu'il puisse endosser à terme le rôle du défenseur intègre du peuple Chiss face à un système corrompu. Il fallait toujours jouer de ce type d'oppositions, se placer d'un côté ou de l'autre d'un affrontement binaire.
Comme il s'y attendait, il reçut un appel sur son comlink de Prard'ifa'involti, le directeur des services extérieurs ; bien qu'ils aient été un temps concurrents, Sargan l'avait toujours considéré comme son second, il était déjà plus facile de travailler avec lui qu'avec l'austère Arew'ona'myarn.
Mieux vaut un ennemi intelligent qu'un allié rigide...« Je serais bref, déclara Difain, toutes nos observations vont toujours dans votre sens... Les Kryshzlas préparent une offensive de grande envergure, probablement selon les modalités que vous avez indiqué. Ils ne reçoivent aucune aide matérielle d'un allié quelconque et sont dans une situation quasiment désespérée. Leur flotte est par ailleurs très divisée, ce qui paraît curieux au vu de la situation... Cela ne veut pas dire grand chose, bien sûr, mais à titre personnel, je pense que cela aurait plutôt tendance à confirmer votre théories, Monsieur le directeur. Je vous ai envoyé mon rapport détaillé.
-Très bien, merci. Vous savez ce que Wonamya avait l'intention de raconter à l'Holonet ?
-Elle ne me fait pas vraiment plus confiance qu'à vous, vous le savez, mais je pense qu'elle devrait faire bloc avec nous, c'est ce qu'elle m'a dit.
Sargan ricana.
-Ça ne m'étonne pas, les gens qui ont foi en ce qu'ils font sont généralement assez contrôlables...
-Il n'y a que les fous qui soient vraiment incontrôlables, Monsieur le directeur.
Sargan prit la réplique comme une douche froide ; il essayait seulement de faire une plaisanterie aimable entre collègues, mais Difain semblait parfois mettre un point d'honneur à lui rappeler leur ancienne rivalité pour le poste de directeur des services de renseignements Chiss. Il était assez lunatique sur le sujet.
-Pour l'instant, on peut lui faire confiance, c'est tout ce que je voulais dire.
-Je suis assez d'accord avec ça, mais ce n'est pas vraiment elle le problème... Sev'rance Tann, vous lui faites confiance ?
-Vous savez bien que non.
-Parce que très honnêtement, je la crois susceptible de profiter au moins autant que nous de l'exposition médiatique qu'aura l'opération... Et je ne suis pas sûr que cela nous soit favorable, je ne parle pas seulement de Tehirahs, vous avez jeté un œil à son histoire familiale ?
-Bien sûr. Mais à vrai dire, je lui fais si peu confiance que je crois que le problème ne se posera même pas.
-Oui, je vois ce que vous voulez dire... Bonne soirée, Monsieur le directeur.
-Bonne soirée. »
Sargan mit fin à la liaison. Difain ne pouvait pas savoir à quel point il avait raison, Sargan avait l'impression de manipuler un charbon ardent lorsqu'il traitait avec Sev'rance Tann... Par chance, il était en position de force, Tann n'avait pas encore toutes les informations en mains pour savoir quel mal il lui avait fait, et elle paraissait sincèrement résolue à l'aider pour détruire les vieux réseaux de la famille Sev, mais elle était tellement instable que le directeur craignait vraiment qu'elle ne se retourne habilement contre lui... Sans doute était-ce le lot de tous les vainqueurs à ce jeu, peut-être Sev'ara'csapla avait-il ressenti les mêmes craintes à son sujet, peut-être Sev'rance Tann aurait-elle les mêmes un jour... Et comme tous les vainqueurs, Sargan n'avait aucune intention de rejoindre de sitôt tous ceux qu'il avait envoyé à la tombe. Lorsqu'on était forcé d'utiliser quelqu'un de dangereux, il fallait s'en débarrasser dès que possible, ne surtout pas croire qu'on pourrait le maîtriser, c'était précisément l'erreur qu'avait fait le grand-père de Tann avec Sargan.
Toutefois, la jeune femme était pour l'heure tellement déboussolée qu'elle ne verrait probablement rien venir, aussi Sargan avait-il encore confiance en l'opération pour le laver de tout le sang qu'il avait sur les mains... Alors, plus personne ne l'arrêterait.
Au fond, il y avait une justice là-dedans ; n'était-il pas le joueur le plus habile de la partie ?
La barge des glaces fendait les vents, Sev'rance étouffait. Un symptôme récurent pour elle ces jours-ci, qui s'accompagnait d'un sentiment d'égarement permanent... Elle s'était sentie mieux pendant trois jours après sa rencontre avec Sargan, puis s'étaient produites les arrestations qu'elle espérait et l'inévitable tempête médiatique et politique autour d'elle, bien qu'elle n'y ait pas eu directement affaire. Depuis, elle avait l'impression d'avoir totalement perdu pied...
Il fallait dire que la présence dudit Sargan n'était pas pour l'aider, avec quelques-uns de ses collaborateurs au pont inférieur...
« Nous ne sommes plus très loin, assura sa voix grave à côté d'elle.
L'impressionnant vaisseau ovale volait à toute vitesse au-dessus des immenses glaciers de Csilla, le vent mugissant de rage autour de lui comme s'il voulait faire tomber les Chiss pour les ramener à leur place...
-Les amiraux Veg'Darnat et Ar'Alani sont tout acquis à notre cause, poursuivit doucement Sargan. Veg'Darnat est un peu plus rigide que Ar'Alani parce que c'est un vieil amiral qui ne pense plus qu'à finir sa carrière sans entacher son honneur, mais il a fini par accepter car il sait aussi qu'il faut impérativement en finir avec les Kryshzlas... Ar'Alani élaborera le plan avec le Commandant Mitth'raw'nuruodo, c'est un jeune officier très brillant, vous verrez... Il est d'ailleurs probable qu'il aura un rôle prépondérant dans l'opération... Ensuite, il faudra l'accord de Veg'Darnat, mais il a bien compris que Ar'Alani est très en vue dans la flotte Chiss, je crois qu'il n'y a aucune chance pour qu'il refuse...
Sev'rance hocha vaguement la tête ; elle n'éprouvait aucun intérêt pour les paroles de Sargan, elle était même légèrement écœurée par ses descriptions cyniques... Le directeur des renseignements lui avait dit qu'il l'emmenait rencontrer plusieurs officiers de la flotte et notamment ce Mitth'raw'nuruodo, Sev'rance aurait dû exulter de se trouver ainsi au cœur des évènements, mais ce n'était absolument pas le cas, pas quand tant de vies étaient en jeu à cause d'elle...
-Mais qu'est-ce que je viens faire là-dedans, moi ? demanda Sev'rance d'une voix faible.
Sargan haussa tranquillement les épaules.
-Leur raconter en détail ce que vous avez vu et entendu chez les Kryshzlas, dire du mal de Zarden en chœur loin des oreilles des Familles Régnantes, sans doute parler de votre oncle à Mitth'raw'nuruodo qui s'intéresse beaucoup à la personnalité de ses adversaires... Par-dessus tout, ils veulent savoir si vous êtes fiable.
-D'accord, ça ne devrait pas me poser de problème. Mais, ils ne savent pas que j'ai dénoncé l'opération comme un piège, donc ? Comment leur avez-vous expliqué que c'en est un ?
-Oh, j'ai simplement soumis cette idée au directeur des services extérieurs, Difain, qui s'est empressé de réinterpréter l'activité récente des Kryshzlas comme une confirmation de ma théorie... Les indices sont très vagues, mais je n'ai pas eu besoin de m'étendre là-dessus tant ce coup de filet surgi de nulle part a suscité de la méfiance ; par ailleurs tout le monde a toujours plus ou moins compté sur Difain et Wonamya pour, disons, modérer mes ardeurs, donc leur plein soutien est une caution en soi.
-Pourquoi ? Vous ne vous entendez pas avec eux ?
-Oui et non... Wonamya est une lieutenante sérieuse, mais franchement rigide, incapable d'un point de vue critique sur les sacro-saints principes Chiss... C'est l'archétype de la fonctionnaire Chiss sérieuse et réservée, j'apprécie son dévouement, mais ce n'est pas toujours facile de travailler avec elle. Quant à Difain... Rien à redire sur le plan professionnel, mais disons que je lui ai plus ou moins grillé la politesse pour devenir directeur des services de renseignement, auréolé entre autres de l'arrestation de votre oncle, et il m'en tient parfois rigueur, bien que nous arrivions à travailler ensemble et même à nous apprécier la plupart du temps.
Sev'rance hocha la tête sans grande conviction. Sargan faisait tout pour se montrer charmant, et sans doute Sev'rance aurait-elle trouvé qu'il l'était en d'autres circonstances, mais il commettait une erreur de taille : loin d'apprécier la franchise du directeur au sujet de ses collègues et des dirigeants de l'Ascendance, Sev'rance ressentait un profond dégoût pour tout ce milieu coupé des réalités, le directeur compris, elle ne supportait pas le ton amusé dont il en parlait... Ou peut-être cherchait-il justement à lui faire perdre toute illusion pour la convaincre qu'ils étaient semblables ? Si c'était le cas, Sev'rance devait admettre que la stratégie n'était pas sans résultat... De toute façon, aussi charmant fut-il, Sev'rance n'avait pas oublié que cet homme était un assassin qui n'avait cessé de trahir les Chiss comme les Kryshzlas...
-N'oubliez pas que vous ne savez pas que j'ai fait cette suggestion à Difain et que nous pensons que c'est un piège, ajouta brièvement Sargan, au nom des règles de sécurité les plus élémentaires...
-Oui, je comprends.
C'était logique, mais alors quel sort lui réservait Sargan une fois Vorgan vaincu ? Il avait beau répéter qu'il lui faisait confiance et que leurs intérêts étaient les mêmes, Sev'rance était incapable de se fier à lui ; il était potentiellement trop dangereux et elle commençait à comprendre que les choses ne se termineraient peut-être pas si bien entre eux... Au milieu des tourments qui agitaient son esprit, une hypothèse très préoccupante avait germé : puisque personne ne savait qu'elle avait elle-même dénoncé le piège tendu par Vorgan, ne pourrait-il pas l'accuser d'avoir délibérément cherché à lui donner de fausses informations?
Le comble, c'était que ce rôle était justement celui que Sev'rance était censée tenir pour Vorgan... Cependant, elle ne voyait pas comment Sargan pourrait prouver qu'elle n'était pas de bonne foi... Mais s'il se servait de ses relations et du passé de Sev'rance, son procès ne serait peut-être pas vraiment équitable...
Bon, elle n'en savait rien, mais elle allait se méfier autant que possible de Sargan, et si elle voyait une occasion de débarrasser enfin la Galaxie de ce monstre, elle le ferait sans hésiter ; mais que pourrait-elle faire qui ne la perde pas et qui ne soit pas inadmissible à ses propres yeux ?
-Nous arrivons ? demanda Sev'rance en voyant la barge ralentir.
-En effet, confirma Sargan avec un sourire. Venez, nous descendons au pont inférieur.
Les deux Chiss s'exécutèrent, rejoignant le pilote et quelques collaborateurs de Hess'arga'nuruodo tandis que la barge replongeait vers les profondeurs des glaciers pour se poser dans une cité Chiss. Les mouvements de Sev'rance étaient ralentis car ses muscles ne s'étaient pas encore remis des exercices de la veille, elle savait depuis longtemps que pratiquer intensément des exercices comme les pompes et les abdominaux, de préférence sur une musique martiale et oppressante, était le meilleur moyen de se vider l'esprit... Chose dont elle avait cruellement besoin en ce moment, plus encore que d'un corps en état de marche. Elle devait garder l'esprit clair pour bien comprendre la situation, sinon Sargan ou un autre monstre caché dans la lumière du pouvoir aurait raison d'elle.
Parfois, elle se demandait si Sargan avait aussi peur d'elle qu'elle de lui... Était-ce possible que derrière le masque d'aimable confiance qu'il arborait, le manipulateur cynique puisse avoir peur d'une jeune femme perdue ? Sev'rance l'espérait sincèrement, parce qu'elle avait de moins en moins l'impression qu'une coexistence pacifique avec Sargan serait possible passée la défaite des Kryshzlas -si elle se produisait !
Et puis, évidemment, il y avait la chose à laquelle elle ne voulait pas penser... Celle pour laquelle il faudrait impérativement qu'elle consulte un médecin une fois que les choses se seraient calmées sous peine d'un bouleversement auquel elle ne s'était jamais vraiment sentie capable de faire face, encore moins maintenant...
Mais il ne fallait pas,
surtout pas y penser maintenant... Garder l'esprit vif et alerte pour ne pas finir broyée entre Sargan et Vorgan, c'était sa seule chance...
Elle marchait sur un fil et elle le savait...
La barge se posa dans la petite ville de Sehmart, où les officiers Chiss avaient décidé de mettre au point leur plan officieux ; cette décision s'expliquait bien sûr par le niveau d'infiltration découvert dans l'Ascendance Chiss, qui pouvait dire s'il ne restait pas d'autres traîtres à l'affut, puisqu'ils avaient pu aller si loin ? Qui était prêt à prendre le risque qu'on remarque la flotte Chiss préparait deux plans en parallèle ? Sev'rance et Sargan rejoignirent donc les officiers de la flotte dans une sorte de salle de réunion manifestement aménagée à la va-vite ; la jeune femme eut l'intuition que les quelques civils alentour étaient tous des agents des renseignements, même s'ils le cachaient bien...
La rencontre se déroula du reste dans la plus grande sobriété : l'Amirale Ar'Alani était une femme plutôt jeune, sa façon de parler paraissait parfois sèche mais on sentait une réelle attention en elle ; le vieil Amiral Veg'Darnat paraissait lui s'ennuyer légèrement, comme s'il ne prenait part à cette discussion qu'à contrecœur, mais l'un et l'autre accueillirent Sev'rance avec une certaine gentillesse, ils lui demandèrent simplement de leur raconter son enlèvement. Celle-ci s'exécuta sans problème, elle travaillait son mensonge depuis longtemps ; elle prenait garde à se concentrer sur ce qu'elle disait plutôt que sur ses interlocuteurs pour ne pas se laisser déstabiliser, comme toujours, comme si elle parlait toute seule. Le fait de s'adresser à deux chefs de la flotte Chiss ne la troublait pas plus que cela, bizarrement ; d'un autre côté, elle n'était déjà plus en état de s'en émouvoir... Il y avait avec eux un officier beaucoup plus jeune que les deux amiraux, c'était le Commandant Mitth'raw'nuruodo dont avait parlé Sargan, à vrai dire Sev'rance n'était même pas sûre qu'il fut plus vieux qu'elle ; lui, Sev'rance devait reconnaître qu'il la mettait mal à l'aise, étudiant son visage avec attention comme si son regard perçant pouvait atteindre ses pensées...
Cependant, le jeune commandant garda le silence tout au long du récit.
« … Une fois arrivée sur Delaija, lorsque l'agent Lazei m'a interrogée, j'ai donc décidé de demander à parler seule au directeur Hess'arga'nuruodo afin de lui transmettre les noms des contacts que m'avait donné mon oncle ; Monsieur le directeur a fait en sorte que nous puissions nous rencontrer au plus vite, ce qui a conduit aux arrestations. Je n'ai jamais ne serait-ce qu'envisagé de faire autre chose de ces informations, elle ne m'appartiennent pas, et je vous fais simplement confiance pour en user au mieux, conclut Sev'rance, espérant avoir été convaincante.
-Très bien, Mademoiselle... Très bien, conclut Veg'Darnat, mais ce qu'il pensait réellement était impossible à déterminer. Si vous dîtes vrai, vous avez eu une attitude exemplaire.
C'était peut-être l'imagination de Sev'rance, mais elle avait l'impression qu'il avait beaucoup appuyé le
« Si vous dîtes vrai »... Ar'Alani intervint à son tour :
-À vrai dire, je crois que nous devons même un fier service à Mademoiselle Tann dans ce cas... Cela signifierait qu'elle est la première à dire la vérité sur une monstruosité qui dure depuis déjà un demi-siècle au sein de nos propres rangs et que c'est grâce à elle que nous allons y mettre fin... Quand on pense que la personne concernée vient d'être condamnée pour mutinerie et ne peut plus servir nos forces armées, c'est tout de même assez ironique.
-Euh, merci, balbutia Sev'rance avec l'impression de se retrouver au milieu d'une conversation en langue étrangère.
-Pour être tout fait franc, prévint le directeur des renseignements, je me demandais si je n'allais pas réparer cette injustice en prenant Mademoiselle Tann dans mes services, elle a fait preuve d'une intelligence et d'un sang-froid tout à fait adaptés à ce que j'attends de mes agents...
-Ne serait-il pas plus simple de demander à ce qu'elle soit graciée pour les services qu'elle a rendu ? objecta Ar'Alani. Ce serait une reconnaissance claire, elle ne retrouvera certes pas son grade de Capitaine, mais elle sera libre de recommencer une carrière militaire dans la branche qu'elle souhaite...
-Il me semble que vous allez un peu vite, grinça Veg'Darnat, manifestement agacé. Dois-je vous rappeler qu'à ce stade, on ne sait toujours pas si Mademoiselle Tann dit la vérité ? Surtout, dois-je vous rappeler que ce n'est pas à vous de décider si elle sera graciée ou non ? J'avais l'impression de parler à deux autorités militaires, moi...
Sargan lui offrit ce qui devait être son sourire le plus sympathique.
-Il n'y a rien de mal à en parler, voyons...
-Rien d'intelligent non plus.
Sev'rance prit son courage à deux mains, ne supportant pas de se retrouver au milieu de la subtile passe d'arme...
-Euh, s'il vous plait... Je ne demande rien pour moi, murmura-t-elle, en fait je n'ai même pas l'intention de reprendre une carrière militaire...
-Pourquoi donc ? demanda une voix forte et claire.
Tann se retourna ; c'était Mitth'raw'nuruodo qui avait parlé, l'air sincèrement curieux.
-C'est la décision de la cour martiale qui vous a privée de votre carrière dans l'infanterie Chiss, s'expliqua tranquillement l'officier, avant cela vous aviez l'air bien décidée à défendre l'Ascendance Chiss par les armes... Sans doute trop, d'ailleurs, ajouta-t-il avec un rapide regard à Veg'Darnat. Ce n'était pas votre choix. Pourquoi est-ce que cela le serait devenu ?
-Bonne question, approuva Veg'Darnat.
-Commandant, répondit Sev'rance après avoir hâtivement préparé sa réponse, j'en suis arrivé à cette conclusion parce que j'ai le sentiment que la décision de la cour martiale n'était pas injustifiée : j'ai effectivement pris les armes contre mon supérieur, pensant savoir mieux que lui ce qu'il convenait de faire ; il se trouve que cela m'a sauvé la vie ainsi qu'à tous mes compagnons d'armes de Tehirahs, mais, si cela ne compte pas au sein des forces Chiss, mieux vaut sans doute que j'arrête de les servir... Par ailleurs, mes agissements ont entraîné la mort du Colonel Zarden, même si je ne l'ai absolument pas voulue ; c'est quelque chose qui pèse sur ma conscience, et je ne veux pas que cela se reproduise.
Sous le coup d'une inspiration soudaine, Sev'rance s'arrêta, puis reprit, la respiration haletante :
-Surtout, j'ai perdu quelqu'un que j'aimais dans cette guerre ; j'ai tenu le coup jusque-là, mais plus ça va, plus je me dis que je ne suis plus en état de servir convenablement la défense de l'Ascendance. Peut-être que cela explique des choses sur mes agissements de Tehirahs, d'ailleurs.
Cette dernière affirmation était un mensonge grossier, mais qu'importait, l'émotion que Sev'rance avait délibérément soulevé en elle grâce au souvenir de Safera avait dû convaincre tout le monde. Mitth'raw'nuruodo continuait à la regarder d'un air intrigué ; pas méfiant, juste intrigué.
-Je peux comprendre que quelqu'un quitte les forces armées pour ces raisons, personnellement, elles sont honorables. Et, si ce n'est pas trop indiscret, que pensez-vous faire à présent, dans ce cas ?
Indiscret ou pas, il paraîtrait malvenu de ne pas répondre, de toute évidence... Sargan avait raison, c'était un interrogatoire, mais Sev'rance ne s'attendait pas à ce que ce soit ce Mitth'raw'nuruodo qui pose le plus problème.
-Je n'ai pas d'idées précises, mais j'avais pensé à une formation pour devenir pilote de navettes de sauvetage.
-Un métier utile et risqué, en somme, commenta innocemment Mitth'raw'nuruodo.
Sev'rance sourit, un sourire parfaitement calculé.
-Il faut croire que j'éprouve une certaine attirance pour eux...
Ça, au moins, c'était vrai, à n'en point douter !
-Vos décisions sont à la fois modestes et sages, Mademoiselle, approuva Ar'Alani. Vraiment, je reste convaincue que vous avez été victime d'une erreur de vos supérieurs avant toute chose.
-C'est possible, grommela Veg'Darnat, la situation de Tehirahs a été très mal analysée. En attendant, une mutinerie a eu lieu, et une décision de justice a été prise en conséquence ; nous n'avons pas à nous y opposer, c'est comme ça.
-Ce n'est pas vraiment le sujet dont nous devions nous entretenir, rappela doucement Sargan.
-Non, en effet, approuva Ar'Alani. Mademoiselle Tann, nous voudrions que vous nous parliez de votre oncle... De sa personnalité, de son histoire, tout ce qui pourrait nous être utile pour adapter notre stratégie...
Sev'rance hocha la tête.
-J'avais douze ans lorsqu'il a été arrêté, mais... Je suis convaincue que c'est quelqu'un d'énergique, voir d'emporté, il s'enthousiasme ou se met en colère très facilement ; néanmoins, ce n'est pas vraiment ce que j'appellerais un impulsif dans ce qu'il fait, il paraît au contraire affectionner de mettre au point des plans très compliqués... Je dirais même qu'il y a quelque chose d'assez narcissique là-dedans, c'est un art autant qu'un atout, pour lui. Il décide vite de ce qu'il veut, mais il est capable de prendre le temps de chercher comment l'obtenir. Il aime bien les mises en scène mélodramatiques, aussi, compléta Sev'rance en pensant à la façon dont il avait voulu mettre en scène la révélation de son identité.
Elle était assez surprise de pouvoir en dire autant, mais Vorgan était un personnage si haut en couleur que tout cela coulait de source...
Mitth'raw'nuruodo approuva d'un signe de tête, un sourire satisfait aux lèvres.
-Tout cela devrait nous être utile, merci d'avoir été si précise.
Sev'rance pensa pouvoir être à peu près sûre que sa reconnaissance était sincère, c'était pour le moins rafraîchissant au vu du caractère impénétrable qu'il présentait depuis le début de la conversation...
-Bien, vous avez quelque chose à ajouter, Mademoiselle ? questionna Ar'Alani.
À l'instant même où l'Amirale prononçait ces mots, une idée foudroya l'esprit de Sev'rance... Quelque chose à ajouter ? Bien sûr qu'elle avait quelque chose à ajouter, quelque chose qu'elle n'était pourtant pas censée dire mais qui lui sauverait peut-être la vie !
-Eh bien, en fait, oui... Je serais irresponsable de ne pas vous prévenir que je ne comprends pas pourquoi Vorgan a été si bavard avec moi alors qu'il venait tout juste de me retrouver ; peut-être est-ce le fait que je sois sa nièce qui lui a donné envie de me faire confiance, mais honnêtement, je ne le crois pas si sentimental ! Je suis convaincue que les personnes qu'il m'avait indiquées étaient bien des espions ennemis, les investigations de Monsieur le directeur vont très clairement en ce sens ; en revanche, n'est-il pas envisageable qu'il ait voulu faire d'une pierre deux coups ? Je me suis demandé s'il ne voulait pas se servir de moi pour détruire ses contacts en plus d'abreuver l'Ascendance Chiss de fausses informations... Et dans ce cas, je crois qu'il serait tout à fait capable d'être suffisamment tordu pour leur avoir fourni de fausses informations ; ainsi, soit je vous intoxiquais suivant ses ordres, soit c'étaient les personnes que j'avais dénoncé qui le faisaient... je pense vraiment que ce serait son style.
Elle se tut, le cœur battant à une vitesse folle... Elle avait totalement improvisé son mensonge, et pourtant, aucune incohérence ne lui sautait aux yeux. Ce qu'elle venait de faire était parfaitement irréfléchi et extrêmement risqué ; cependant, c'était précisément pour cela que c'était la chose à faire pour désarçonner Sargan... Elle surprit instantanément le regard de celui-ci et crut y voir une lueur stupéfaite avant qu'il ne reprenne son masque habituel ; ce fut tout. Les autres officiers l'observaient d'un air préoccupé, même Mitth'raw'nuruodo. Manifestement, personne n'avait prévu cela.
Bien joué, ma belle. Je ne sais pas ce que ça va donner, mais ça valait le coup d'essayer !-C'est une possibilité, en effet, lâcha Veg'Darnat, dardant sur elle et Sargan un regard soupçonneux.
-Comment vous est venue cette idée, Mademoiselle ? demanda Sargan avec une étrange décontraction.
Sev'rance haussa les épaules.
-Je connais mon oncle, et j'ai tendance à me méfier des cadeaux tombés du ciel... Bien sûr, ce n'est qu'une suggestion ; je ne suis officier ni de la flotte ni des renseignements, j'ignore tout à fait quel crédit lui apporter. Qu'en pensez-vous ?
-Nous y avions réfléchi, bien sûr, affirma Ar'Alani. Vous avez bien fait de nous le dire, cependant, cela nous aidera peut-être à prendre une meilleure décision...
-Très bien, je m'en doutais, je vous fait parfaitement confiance, mais je voulais simplement être sûre que mes informations ne serviraient pas à attirer la flotte Chiss dans un piège...
-C'est très compréhensible, approuva Mitth'raw'nuruodo d'un hochement de tête, mais il semblait en fait plongé dans une intense réflexion.
-Bien, s'il vous plait... demanda Ar'Alani. Nous avons du travail, et il ne concerne que la flotte ; Monsieur le directeur, vous pouvez repartir avec votre informatrice... Nous devons nous entretenir avec les représentants des Familles Régnantes, pour commencer.
-Cela ne me concerne pas, remarqua le Commandant Mitth'raw'nuruodo, et j'aimerais discuter plus avant avec Mademoiselle Tann... Disons qu'elle se révèle pour le moins intéressante.
Ar'Alani haussa les épaules.
-Comme vous voulez. Mais revenez tout de même dans la soirée, Thrawn, nous voulons votre avis sur le plan final.
-Vous pouvez me la prêter, Monsieur le directeur ? demanda Mitth'raw'nuruodo à Sargan avec un sourire.
-Bien sûr, répliqua Sargan en souriant à son tour, mais si largement qu'il n'en était plus crédible. Ramenez-la moi en bon état, c'est tout... »
Le regard assassin qu'il lança à Sev'rance fut peut-être suffisamment discret pour échapper aux autres personnes présentes, mais pas à elle.
Le cœur de Sev'rance n'avait pas ralenti sa cadence alors que les deux Chiss sortaient de la salle de réunion improvisée... L'imprévu donnait à la jeune femme l'impression de se libérer de son carcan d'angoisses, cependant elle était incapable de décider si la tournure prise par les évènements allait dans son sens ou non...
Au moins n'avait-elle plus Sargan à proximité... Elle ne savait pas du tout quoi penser de ce Mitth'raw'nuruodo, il l'effrayait par certains aspects, toutefois il paraissait faire son travail avec honnêteté et dévouement, ce qui inspirait un certain respect à Sev'rance... Ce qui était sûr, c'était qu'il l'intriguait, et la réciproque était probablement vraie.
« Une ballade à speeder vous plairait-elle ? proposa-t-il gentiment.
Sev'rance supposa que l'objectif était de les éloigner des oreilles indiscrètes... Ce n'était pas surprenant, mais elle était curieuse et même assez inquiète de ce que ce mystérieux commandant lui voulait.
-Avec plaisir, approuva Sev'rance, se permettant même un sourire.
Quand elle y réfléchissait, elle s'en sortait bien au-delà de ses espérances, elle avait pu se créer une nouvelle crédibilité auprès des officiers de la flotte en dénonçant elle-même ce qu'ils savaient très bien être un piège... Le spectre d'une arrestation par Sargan pour avoir fourni de fausses informations paraissait s'éloigner, elle pouvait se calmer. Alors pourquoi avait-elle toujours l'impression qu'elle allait tout perdre si elle n'y prenait pas garde ?
Toujours nerveuse, la jeune femme embarqua à bord du speeder des glaces vers lequel l'emmenait Mitth'raw'nuruodo, apparemment conçu pour accueillir un maximum de trois personnes. Elle s'installa à côté de l'officier ; celui-ci démarra le speeder en souriant et commença à s'élever vers les hauteurs des glaciers.
Ce ne fut que lorsqu'ils furent au-dessus des immenses glaciers de Csilla qu'il se tourna vers elle, le regard pétillant d'intelligence :
-Je suppose que je ne vous apprends rien en vous disant que nous privilégions déjà la thèse d'un piège tendu par Vorgan par votre intermédiaire, n'est-ce pas ?
-Qu'est-ce qui vous faut dire cela, Commandant ?
-Appelez-moi Thrawn, pour commencer, je n'ai que faire des règles d'usage.
Un moyen de la mettre en confiance ?
-Si vous voulez, mais alors je serais Sev'rance.
-Très bien. Écoutez, entre nous, votre éclair de génie dans lequel vous découvrez brusquement que vous pourriez être l'instrument d'un piège de Vorgan, j'y crois très moyennement... Outre que je suis convaincu que votre rencontre avec votre oncle ne s'est pas passée comme vous la décrivez, vous êtes trop intelligente pour ne pas avoir compris que le directeur Sargan se méfie considérablement de vous. Vous avez dit cela uniquement pour vous dédouaner de ce qui aurait pu se passer.
-Vous remettez en cause ma loyauté à l'Ascendance ? demanda Sev'rance d'un ton glacial, surmontant l'inquiétude que lui inspirait Thrawn, car il était dans le vrai, au fond. Je crois avoir fait preuve sur Tehirahs d'une loyauté bien plus forte que ceux qui voulaient nous abandonner !
-Je n'ai pas dit cela, Sev'rance. Mais vous avez menti et je dois savoir pourquoi.
-Je ne vois pas ce qui vous permet de dire cela.
-Ah non ? Alors répétez-moi le récit de votre rencontre avec Vorgan, s'il vous plait.
-Si ça peut vous rassurer...
Sev'rance s'exécuta, légèrement plus vite que la première fois, le scénario toujours présent dans on esprit. Qu'est-ce que Thrawn espérait en conclure ? Pourtant, lorsqu'elle eut fini, il se retourna vers elle avec un sourire désabusé :
-C'est bien ce que je pensais... Sev'rance, si vous racontez des évènements que vous avez traversé, pourquoi éprouvez-vous le besoin de reprendre par cœur les mêmes formulations ?
-Pardon ? demanda Sev'rance, sonnée, le cœur faisant une nouvelle embardée comme si elle était plongée dans une bataille...
-La réponse est simple : parce que vous ne racontez pas quelque chose que vous avez vécu avec les mots qui vous viennent, vous récitez un mensonge appris par cœur. Le récit n'est pas exactement le même, certes, mais on reconnaît trop de formulations identiques et la structure est la même. Par ailleurs, vous ne commettez aucune erreur, ce qui paraît difficile à croire vu l'état d'esprit qui doit être le vôtre... Ne niez pas, vous allez nous faire perdre du temps. Ce que je veux savoir, c'est
pourquoi vous avez menti ; vos raisons sont peut-être tout à fait honorables, n'allez pas croire que je vous juge...
-D'accord, murmura Sev'rance, impressionnée.
Et maintenant, je fais quoi ? Thrawn sourit à nouveau, d'un air compatissant.
-On voit que vous n'êtes pas encore prête à rejoindre Sargan, c'est l'une des connaissances les plus élémentaires d'un agent des renseignements... Mais j'ai crû comprendre que cela ne vous intéressait pas.
-Non, c'est le moins qu'on puisse dire, laissa échapper Sev'rance avant d'avoir pu s'en empêcher.
-Alors écoutez-moi bien : Sargan a beaucoup d'alliés, vous gagneriez à en avoir aussi.
-Que voulez-vous dire ? interrogea Sev'rance, sur la défensive.
-Je crois que vous le savez très bien : si vous avez fait cette intervention pour dénoncer un piège des Kryshzlas, c'est que vous craignez quelque chose de Sargan, lui seul connaît suffisamment bien votre implication dans l'opération pour prétendre vous arrêter s'il s'avère que vos informations nous ont conduit dans un piège... Donc, vous essayez de vous protéger de lui. Là encore, vous avez peut-être de bonnes raisons de le faire, mais je dois savoir lesquelles.
Sev'rance soupira doucement ; inutile de faire semblant plus longtemps, à partir de maintenant, soit Thrawn était un allié providentiel, soit elle était fichue... Elle le soupçonnait de l'embarquer dans une quelconque manœuvre politique, mais elle ne voyait pas ce qu'elle pourrait faire contre quelqu'un qui lisait à ce point en elle...
-Je n'ai pas donné les noms de tous les traîtres à l'Ascendance Chiss, dit-elle, peinant à articuler tant ce qu'elle faisait était dangereux. Il en manquait un, le plus dangereux de tous.
Thrawn se retourna lentement vers elle ; Sev'rance vit qu'il commençait à avoir sincèrement peur de ce qu'elle allait dire...
-Oui, c'est Sargan lui-même, termina-t-elle dans un souffle. Croyez-le ou non...
-Je suis désolé, mais je ne comprends vraiment pas... Sargan a fait arrêter ses propres agents ? Avec votre aide ? Et vous avez peur de lui ? Ça n'a aucun sens présenté ainsi, il va falloir m'expliquer ça... Mais une première question, tout d'abord, la seule qui importe : les informations que nous donneront les traîtres nous conduisent-elles droit dans un piège ?
-Oui.
-Et c'était délibéré de la part de Vorgan, j'imagine ?
-Oui, c'est exactement dans ce but qu'il m'a envoyée.
-Et vous l'avez fait... Pourquoi ?
Sev'rance savait quelle serait la réponse la plus évidente... Comment allait-elle lui expliquer ce qu'elle allait voulu faire ? Elle avait peur, peur d'être à nouveau prise pour une traîtresse, elle n'avait que trop vécu cela... Cependant, Thrawn parlait toujours sur le ton d'une simple conversation amicale ; cela aurait pu être perturbant, mais il parvenait à être réellement rassurant avec Sev'rance.
-C'est toute l'ironie de l'histoire... Je ne l'ai pas fait, justement, expliqua Sev'rance avec un petit rire nerveux. J'ai d'entrée de jeu prévenu Sargan que c'était un piège, et il a accepté que je témoigne contre ses anciens collaborateurs tandis que lui dénoncerait la manipulation, afin de sauver la flotte Chiss et de prendre Vorgan à son propre piège...
-Vous m'avez perdu, avoua Thrawn. Pourquoi Sargan voudrait-il remporter une victoire pour l'Ascendance Chiss s'il est lui-même un agent des Kryshzlas ? D'ailleurs, il s'est comporté de façon plus que compétente pendant la guerre, si on excepte Tehirahs...
-Il faut savoir que cette collaboration avait pris fin au début de la guerre, peut-être Sargan a-t-il eu peur d'être démasqué une fois devenu directeur des renseignements... Il a recommencé avec Tehirahs, c'est lui qui avait orchestré cela, pour mettre un terme à la guerre favorablement aux Kryshzlas. Mais à présent, il veut par dessus tout se débarrasser toutes les preuves de son passé, à commencer par ses anciens complices et les Kryshzlas ; de leur côté, Vorgan et le seigneur Heckara veulent également se débarrasser de leurs anciens agents Chiss pour ne pas être retrouvés... Alors je devais proposer à Sargan de dénoncer ses agents en lui faisant croire que je trahissais ainsi mon oncle, les agents en question lui donneraient des informations pour tendre un piège à Vorgan... Complètement fausses, bien sûr. Et Sargan aurait été mis en cause à son tour, les accusations de ses anciens complices devenant soudain crédibles après la débâcle...
-D'accord, je comprends mieux... Je ne sais pas si vous dîtes vrai, mais si oui, l'affaire est encore plus grave que je ne le croyais... Laissez-moi deviner, vous avez parlé vous-même de la possibilité d'un traquenard de Vorgan au cas où Sargan voudrait également se débarrasser de vous ?
-Tout à fait... Je ne lui accorde aucune confiance.
-C'est par un mensonge que vous avez rétabli la vérité... Intéressant. Pourquoi Vorgan s'est-il adressé à vous ? Simplement parce que vous êtes sa nièce et que vous étiez dans une situation délicate ?
-Pour la même raison qu'il est Amiral de la flotte Kryshzla, trancha Sev'rance. Parce que c'est la famille Sev qui a initié les trahisons au sein de l'Ascendance !
-C'est à dire ?
-Attendez, c'est un peu long à expliquer...
Alors Sev'rance se vida de toutes les horreurs que lui avait raconté son oncle... Comment son arrière-grand-père avait découvert les Kryshzlas et choisi d'en tirer parti, comment la première expédition avait été vaincue par le seigneur Heckara, comment les deux anciens adversaires avaient décidé de s'allier pour une expansion sanglante de l'Empire Kryshzla, comment Sargan avait fini par trahir le grand-père de Sev'rance... Arrivée à la fin de son récit, elle haletait, bouleversée par l'apparence cauchemardesque de l'histoire.
Thrawn hocha la tête, manifestement affecté.
-D'accord... Je vous avoue que j'étais loin d'imaginer tout cela...
-S'il vous plait... Je suis complètement perdue, avoua Sev'rance, les larmes aux yeux. Je veux vraiment bien faire pour l'Ascendance, mais je n'ai personne sur qui compter à part ma sœur... Je ne suis pas comme ma famille, s'il vous plait...
-Sev'rance, je crois que s'il y a quelqu'un qui est de votre côté, actuellement, c'est bien moi. Je ne crois pas que vous auriez pu inventer cette histoire, et, arrêtez-moi si je me trompe, mais j'ai l'impression que vous êtes quelqu'un qui n'aime pas exprimer ses émotions voir qui a du mal à le faire, alors je vous imagine mal pleurer sur commande... Je peux tout à fait me fourvoyer, mais si vous dîtes vrai, je suis le seul à pouvoir vous aider. Alors je vais partir du principe que vous dîtes vrai.
Sev'rance eut l'impression qu'un poids énorme se retirait de sa poitrine... Elle n'était plus seule au milieu de tous ces requins du pouvoir Chiss, au moins temporairement...
-Cependant, je dois vous avertir d'une chose, prévint Thrawn.
-Laquelle ?
Sev'rance s'en moquait, son soulagement d'avoir le soutien de Thrawn était trop profond pour que quoi que ce soit puisse l'effacer...
-J'ai fait partie des officiers qui ont utilisé les informations de la famille Sev.
Ah si, finalement, quelque chose pouvait ! Sev'rance se retourna vers Thrawn, prise d'une sorte de stupéfaction désabusée :
-C'est une blague ?
-Je suis désespérément sérieux, Sev'rance... J'ai mené de nombreuses opérations depuis bien avant la guerre contre les Kryshzlas, des opérations destinées à faire des Régions Inconnues un endroit où la vie soit possible pour tout le monde, des opérations qui m'ont attiré l'admiration des uns et la méfiance des autres ; or, les renseignements transmis par celui qui était alors le Capitaine Sev'orga'nuruodo m'ont été bien utiles à cette fin...
-Vous étiez des leurs ? s'étrangla Sev'rance.
-Non. Nous étions plusieurs officiers à refuser le dogmatisme avec lequel sont appliquées les principes de non-agression de l'Ascendance Chiss, bien qu'ils m'inspirent un certain respect en eux-mêmes ; Vorgan nous monnayait des informations issues de gens puissants qui avaient des liens méconnus au sein des peuples de l'Ascendance Chiss... Mais je vous promet que si j'avais su d'où venaient ces renseignements, jamais je ne les aurais utilisés ! Je peux aussi vous promettre que je ne m'en suis jamais servi à des fins personnelles, et je crois que c'était aussi le cas de la plupart de ceux qui ont accepté l'aide de votre famille ; je n'ai jamais voulu que détruire la menace permanente que représentent des peuples comme les Vagaaris ou les Kryshzlas, et je crois avoir plutôt bien fait mon travail, puisque je suis toujours Commandant malgré les doutes de mes supérieurs... Alors, si des gens sont encore en vie grâce aux actions menées par moi et mes hommes, est-ce si grave à vos yeux que nous ayons utilisé ces renseignements ?
Thrawn paraissait poser sincèrement la question.
-Non, bien sûr, soupira Sev'rance, j'aurais peut-être fait pareil à votre place... Vous n'avez rien fait de mal, je respecte la vie plus que tout. On m'a enlevé la vie de celle que j'aimais, moi, expliqua-t-elle douloureusement.
-Nous sommes d'accord. Les principes pacifistes sont de belles choses, vraiment, mais il ne faut pas oublier qu'ils sont faits avant tout pour
les gens.
Sev'rance eut brièvement l'impression d'entendre parler Virasa...
-Que pourrez-vous pour moi, Thrawn ?
-Pas grand chose, j'en ai peur... Nous sommes confrontés à un adversaire que d'aucuns qualifieraient de trop fort pour nous ; mais la force ne se révèle qu'une fois mise à l'épreuve, n'est-ce pas ? Je pourrais veiller à ce que l'opération pour en finir avec Vorgan se déroule bien, je pourrais parler en votre faveur si procès il y a, vous donner accès à mes renseignements et mes ressources dans la mesure du possible... Malheureusement, j'ignore quand le haut commandement décidera qu'il m'a suffisamment toléré...
Sev'rance haussa les épaules.
-Je n'en attends pas plus, Thrawn, toute aide sera la bienvenue... Sachez que je vais également essayer de libérer mon ancien lieutenant de Tehirahs, mais c'est purement personnel, je ne vous demande pas de prendre part à cela.
-Hmmm... Je comprends que vous vouliez le sortir de là, mais faites attention à vous, quand même. Une dernière chose : savez-vous si votre oncle a des goûts artistiques particuliers ?
-Pardon ? demanda Sev'rance, certaine d'avoir mal compris.
-Les goûts en art de votre oncle... Vous avez déjà fourni une description de sa personnalité que je sais fidèle voir brillante pour l'avoir déjà rencontré, mais il est parfois encore plus intéressant d'étudier les goûts artistiques d'une personne voir d'un peuple entier, parce que l'attrait qu'une œuvre d'art exerce ou non sur quelqu'un tient en grande partie de l'inconscient... Cela permet de comprendre
la façon dont la personne pense, si vous me suivez, ce qui fait qu'elle a tel ou tel trait de caractère, on peut ainsi en déduire d'autres choses avec une certaine probabilité et faire une analyse d'elle plus complète qu'elle ne peut s'y attendre. Il est aussi important d'étudier ce qu'une personne veut refléter que ce qu'elle reflète, si on veut vraiment la comprendre.
-Euh, très bien... Je n'ai jamais entendu parler d'une telle méthode en stratégie, est-ce courant ?
-Je vous avoue que non, à vrai dire je ne connais personne d'autre non plus qui se fonde sur l'art pour élaborer sa stratégie... Cela ne vient pas à l'idée de beaucoup de gens, qui ne voient dans les différents arts qu'une activité plaisante, et pas ce qu'ils révèlent sur ceux qui les ont conçus, sur ceux qui les aiment et sur le contexte dans lequel ils se trouvent... J'imagine, en tous cas.
-D'accord... Si vous arrivez vraiment à faire cela, je suis impressionnée, admit Sev'rance, admirative. Eh bien, pour vous répondre, je vous avoue que je n'ai pas la moindre idée des goûts de Vorgan... J'en savais peut-être un peu plus quand j'étais petite, mais là, je vous assure que rien ne me vient à l'esprit.
-Bien, merci quand même, je pense que nous pourrons nous débrouiller malgré cela... Nous rentrons ?
-Oui... Ce fut une sympathique promenade.
-En effet. Il faudra vraiment que nous revoyions, vous me paraissez être quelqu'un de très intéressant. »
Sev'rance hocha la tête en souriant, le plus beau sourire qu'elle ait fait depuis qu'elle avait quitté sa sœur sur Helrah.