J'ai pas le temps, j'ai pas le temps, j'ai pas le temps !
Bon, voilà au moins le début de l'histoire...
La première mission
Jocasta n’entendait plus le vrombissement du navire plongé en hyperespace. Elle était trop concentrée pour cela, ne quittant pas des yeux la lame du sabre-laser de Finis Extor, son maître. Elle savait qu’il se jetterait dans la moindre faille de sa défense… comme il n’avait cessé de le faire durant les longues heures qu’ils avaient tous deux consacré à l’entraînement au sabre-laser.
Jocasta n’en menait pas large. Bien que son maître lui fasse subir ce traitement depuis une semaine qu’ils étaient entrés en hyperespace, elle n’était que plaies et bosses et, pire que tout, elle n’entrevoyait pas la moindre amélioration dans sa maîtrise du sabre-laser. Jamais elle n’avait eu la moindre opportunité de franchir ses défenses, malgré des centaines et des centaines d’essais.
Elle se plongea dans les strates profondes de la Force avant de lancer sa prochaine attaque. Tout devait couler de source, être fluide. Elle devait se rendre imprévisible, invisible. Mais comment faire à un chevalier Jedi que d’aucuns considéraient comme l’incarnation de la Force vivante ?
Quand elle crut le bon moment venu, elle se jeta pour embrocher Finis. Celui-ci évita le coup avec une facilité déconcertante : il se contorsionna tout en avançant vers sa padawan. Il eut le temps de la gifler sans qu’elle ait pu suivre son mouvement des yeux, et elle se retrouva à terre… encore une fois.
Finis Extor désactiva son sabre-laser en soupirant, avant d’aider Jocasta, encore quelque peu sonnée, à se relever. Qu’est-ce qui lui avait pris de la prendre pour padawan ? Il s’était attendu à ce qu’elle progresse sous sa férule mais rien ne semblait y faire. En dehors de leurs entraînements, elle s’enfermait dans sa cabine avec la console informatique qu’elle semblait chérir plus que tout. Elle aurait dû comprendre depuis longtemps que leurs seules passes d’armes ne suffisaient pas, et chercher à s’améliorer de son côté.
Mais non. Était-elle finalement moins intelligente qu’elle n’y paraissait ? Ou son potentiel était-il trop limité ? Plus le temps passait, plus Finis doutait de sa décision de prendre la jeune Coruscantaise sous son aile. Elle était beaucoup plus jeune que lui, et d’un caractère diamétralement opposé au sien. Sans parler de leur manière respective d’aborder la Force, là encore aux antipodes l’une de l’autre. Lui, le spécialiste, l’incarnation de la Force vivante ; elle, aux pouvoirs si balbutiants que nul ne pouvait encore dire vers quelle spécialisation ils tendraient. En tout cas, de l’avis de Finis, pas la Force vivante.
Qu’allait-il bien pouvoir faire d’elle ? Devait-il la renvoyer au Temple dès maintenant ? Il se moquait éperdument de passer pour une girouette aux yeux de ses pairs, même ceux de maître Yoda. Il n’avait pas peur non plus d’affronter le regard de Jocasta s’il choisissait de l’écarter de son chemin. S’il devait en arriver là, ce serait pour son bien à elle : il ne pouvait se permettre de se laisser distraire de ses missions, ô combien dangereuses. S’il devait passer son temps à veiller sur elle, à la sauver, il perdrait toute efficacité sur le terrain.
Jocasta était décidément trop faible et trop différente de lui pour être capable de l’épauler. Restait à trouver les mots pour l’amener elle-même à cette conclusion.
– Jocasta, ça ne va pas du tout, entama-t-il, bougon.
– Je suis désolée, maître. J’ai toujours trouvé difficile l’art de manier le sabre-laser.
– C’est surtout pour cette raison que ça ne va pas. Avec l’entraînement intensif que nous pratiquons depuis une semaine, tu aurais déjà dû accomplir des progrès notables, or il n’en est rien. Ne te rends-tu donc pas compte que le maniement du sabre-laser est primordial pour les Jedi ? C’est cela qui te permettra de rester en vie !
– Je croyais que la puissance d’un Jedi lui venait de la Force, maître ? rétorqua Jocasta.
– Ne joue pas sur les mots, tu sais très bien ce que je veux dire.
– Dois-je vous citer le nom de tous les Grands Maîtres de l’Ordre qui n’ont jamais utilisé leur sabre-laser ? Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il y en a eu des dizaines.
– Je me moque du passé, je vis dans le présent, ici et maintenant. Mon présent, mon avenir, mes missions impliquent une utilisation sans faille de la Force, ainsi qu’une maîtrise parfaite de l’art du combat au sabre-laser. Et il m’est de plus en plus évident que tes lacunes sont trop importantes pour être comblées dans des délais acceptables.
– Que voulez-vous dire ? demanda Jocasta d’une voix tremblante. Vous ne voulez déjà plus de moi comme padawan ?
– Je suis désolé, Jocasta, répondit-il sans prononcer l’expression
poids mort qui dansait dans son esprit. Une fois la crise en cours résolue, chacun de nous reprendra sa propre route.
La jeune humaine releva le menton pour planter des yeux assassins dans ceux de son maître. Elle salua de la tête, avant de tourner les talons et de quitter les lieux d’un pas digne. Le tout dans le plus glacial des silences.
Elle a du cran, je ne peux pas le nier. Mais je suis certain que c’est la décision la plus sage. Ses talents ont besoin d’être exprimés autrement et ailleurs qu’ici. Elle m’en veut mais dans quelques années, je pense qu’elle saura faire assez la part des choses pour comprendre qu’en fait, je viens de lui sauver la vie… et peut-être la mienne par la même occasion.
Passé l’instant de surprise de se voir ainsi répudiée par son maître, Jocasta avait dû faire face à un ersatz de colère, qu’elle avait balayé tout aussi vite. Son esprit était trop compartimenté pour qu’elle cède si finalement à des sentiments si peu jediesques.
La jeune padawan était déçue. Par son maître, bien sûr, mais surtout par elle-même. Pourquoi diable avait-elle éprouvé le besoin de le défier du regard avant de sortir, comme pour prouver… pour prouver quoi, au fait ? Qu’elle était une dure à cuire ? Qu’elle était touchée dans son orgueil ?
J’ai été ridicule, estima-t-elle en rejetant toute trace d’émotivité. L’esprit à nouveau clair, elle mit à contribution son redoutable esprit analytique pour appréhender toutes les facettes de la situation.
Voilà que maître Extor pensait à nouveau avoir besoin d’un Extor bis, alors qu’elle croyait lui avoir démontré lors de leur première rencontre que la Force vivante n’était pas tout. Qu’elle, Jocasta, avait d’autres moyens d’exprimer son potentiel et de le mettre au service de son nouveau maître.
Intellectuellement, elle comprenait la conclusion à laquelle le raisonnement d’Extor l’avait conduit, mais elle trouvait néanmoins quelque peu vexant d’être ainsi mise sur la touche sans avoir eu l’occasion de démontrer l’utilité de ses propres talents.
Une fois revenue dans sa cabine, Jocasta s’installa devant sa console informatique. Arriverait ce qui arriverait : si son maître refusait de lui donner sa chance, cela n’allait pas empêcher Jocasta de lui apporter son aide pour la mission en cours. La cause qu’ils défendaient tous deux à leur manière était plus importante que les simples individus qu’ils étaient, décida-t-elle en affichant à l’écran tous les dossiers liés à l’enlèvement de Garth Arriban.
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Garth Arriban était un sénateur influent. Certains voyaient en lui le prochain chancelier de la République. D’ores et déjà en pré-campagne deux ans avant les prochaines élections, il avait choisi de faire le tour des mondes républicains les plus reculés afin de mieux se faire connaître. Ses appuis politiques dans le Noyau étaient importants, mais il connaissait un déficit de notoriété sur les mondes frontaliers, d’où l’idée d’une tournée dans ces lieux reculés.
Son voyage avait tourné court : avant même d’atteindre sa première destination, son vaisseau avait été arraisonné et le sénateur enlevé. Le temps que la nouvelle parvienne à Coruscant, une demande de rançon avait été envoyée par les kidnappeurs, les Pirates de Corcxus.
Le Sénat, pour une fois uni, avait décrété que tous les moyens possibles et imaginables devaient être mis en branle pour récupérer Arriban, et le Conseil Jedi s’était vu confier cette mission délicate. Le sénateur devait bien sûr être récupéré sain et sauf, la rançon ne devait pas être versée, et les pirates mis hors d’état de nuire. Le prestige des dirigeants de la République en dépendait. Le Sénat avait été jusqu’à offrir une récompense pour toute information utile concernant l’enlèvement, et ce dernier point avait été déterminant.
L’un des pirates, un jeune humain du nom d’Anton Middler, avait pris contact pour donner la localisation de la base de ses pairs, sur la colonie de la planète Rolvane. Il avait affirmé ne pas vouloir la récompense mais demandé l’immunité pour ses crimes cachés.
Le Conseil Jedi avait aussitôt donné l’ordre à Finis Extor et sa padawan d’aller récupérer le sénateur.
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Quand le navire sortit de l’hyperespace à la lisière du système de Rolvane, le pilote – seul être à bord avec les Jedi – en informa ses passagers. Ceux-ci étaient prêts, chacun à sa manière. Finis Extor, quand il n’entraînait pas sa padawan, avait passé de longues heures à méditer, pour être au plus près de la Force. Jocasta, de son côté, avait préféré apprendre par cœur tous les dossiers liés de près ou de loin à la crise en cours.
– Comment procédons-nous, maître Jedi ? s’enquit le pilote, Varek Mensian, dès que ses deux passagers l’eurent rejoint dans l’habitacle.
– Je ne le sais pas encore, reconnut Finis. Je n’ai pas pour habitude de tirer des plans sur la comète, mais plutôt de suivre mon instinct. Voyons ce qu’il en résultera aujourd’hui.
Bien que cette réponse le plongeât dans un abîme de perplexité, Varek avait assez de discipline pour ne pas discuter plus avant. Il savait que les Jedi n’avaient rien à voir avec le commun des mortels, et il venait d’en avoir une nouvelle preuve avec l’approche préconisée par Finis. D’un autre côté, il savait pertinemment qu’une approche traditionnelle, via le spatioport local, sonnerait le glas de la mission de sauvetage avant même qu’elle ne commence. Même si rien ne prouvait que les pirates se terraient dans la colonie locale, il était évident qu’ils surveilleraient de près le spatioport.
Jocasta, en revanche, était plus dubitative. On lui avait toujours appris qu’un plan d’action devait être travaillé le plus sérieusement du monde, que toutes les options devaient être tournée et retournées jusqu’à ce qu’une ligne de conduite se dégage clairement. Pourtant, si elle savait que Finis Extor fonctionnait aux antipodes de la méthode traditionnelle, en faisant confiance à la Force vivante en toutes circonstances, elle préféra elle aussi se taire. Les méthodes de son maître avaient plus d’une fois prouvé leur efficacité. Elle finit tout de même par prendre la parole :
– Ne vaudrait-il pas mieux couper tous les systèmes de bord non-vitaux, afin de rendre notre éventuelle détection plus difficile ?
– J’ai bien entendu prévu de le faire, annonça sèchement Varek, quelque peu vexé que la padawan pense qu’il ait négligé cette évidence.
Il commença à comprendre ce que les mauvaises langues voulaient dire en parlant de l’arrogance des Jedi.
Sa sensibilité permit à Jocasta de ressentir l’état d’esprit du pilote, et de comprendre l’erreur qu’elle avait commise :
– Veuillez pardonner mon intervention malvenue, Maître Pilote, répondit-elle. c’est ma première mission, je suis encore inexpérimentée.
Varek tiqua et jeta un œil incrédule à Jocasta. Sur son monde natal de Varnal, où toute position sociale était codifiée à l’extrême, il était connu comme Maître Pilote, la plus haute distinction que puisse obtenir quelqu’un en suivant cette branche. C’était l’obtention de ce titre qui l’avait poussé à entrer dans la Flotte de la République. Il était tombé de haut quand il s’était aperçu que son titre, si prestigieux sur Varnal, était totalement inconnu sur Coruscant. son orgueil en avait pris un coup. Depuis trois ans qu’il pilotait pour le compte de la République, pour la première fois, quelqu’un l’honorait de cette appellation en sachant ce qu’elle impliquait. Il en fut à la fois touché et fier.
– Il n’y a pas de mal, demoiselle Jedi, fit-il. Au contraire, quand on est inexpérimentée sur le terrain, comme vous, il est d’autant plus important de connaître la théorie.
Cet assaut d’amabilités flotte dans la Force et arracha à Finis un sourire en coin. Jocasta n’était peut-être pas une grande utilisatrice de la Force, mais elle avait un don certain pour la diplomatie. D’autant qu’il ne sentait ni la malice ni manipulation de sa part. juste le désir de mettre son interlocuteur à l’aise, et d’apprendre. De plus, elle avait visiblement potassé son sujet avant de venir, et même plus que de raison : aller jusqu’à éplucher le dossier de leur pilote dénotait un certain excès de zèle.
– Y a-t-il des conditions météorologiques spécifiques qui pourraient nous permettre d’atterrir discrètement ? s’enquit le maître Jedi.
– Je crains que non, répondit Varek. Il y a bien quelques orages violents de temps à autres, mais nous en servir comme couverture nous mettrait en danger plutôt qu’autre chose.
– Pas de pluies de météorites ? D’anomalies gravitationnelles, de perturbations locales de n’importe quelle sorte ? insista Finis.
– Rien de tout cela, maître Jedi.
– Si je puis me permettre, maître… demanda timidement Jocasta.
– Oui, padawan ?
– D’après nos dossiers, la planète Rolvane abrite une colonie républicaine. Elle a été créée il y a soixante-seize ans et, de ce fait, était soumise aux règles de colonisation édictées à l’époque.
– À savoir ?
– Les règles de protection de l’environnement pour les mondes dits « vierges » étaient alors bien plus stricts que maintenant. Toute colonie avait pour obligation d’être équipée d’une station orbitale afin de stocker tous les déchets produits à la surface. Tous les six mois, un convoyeur républicain venait ensuite récupérer ces déchets avant de les acheminer vers une station de recyclage.
– C’est passionnant, Jocasta, commenta Finis d’un ton morne contredisant ses paroles.
La petite avait de la culture, pas de doute là-dessus. Mais cette érudition ne semblait d’aucune utilité pour la mission. N’était-ce donc que du verbiage destiné à se faire mousser ?
Jocasta ne s’offusqua pas du dédain perceptible dans la voix de son maître. À ses yeux, tant qu’il ne verrait pas où elle voulait en venir, sa réaction était normale.
– L’unité de stockage des déchets se trouve à cent cinquante kilomètres de la colonie. Elle en est loin à cause du bruit émis par le double canon.
– Mais de quoi parles-tu ? demanda un Finis noyé sous le discours.
– Les ordures de la colonie sont placées dans des conteneurs, qui une fois remplis sont acheminés à l’unité de stockage. De là, un canon magnétique envoie les conteneurs sur l’infrastructure en orbite, où ils sont rangés en attendant le convoyeur. En échange, la station orbitale envoie à son tour un nouveau conteneur… vide, celui-là.
Jocasta fut ravie de voir l’expression de surprise de son maître quand il se tourna brusquement vers elle. Il venait de comprendre le plan.
– Très astucieux, Jocasta. Je suis impressionné. Il y a néanmoins un bémol : si ton idée peut nous permettre de passer de l’orbite à la planète, il nous manque toujours un élément : comment atteindre l’orbite sans nous faire repérer ?
– Je l’ignore, maître, reconnut la padawan.
Il ne fallut que quelques secondes à Finis pour trouver une solution.
– Nous irons en scaphandres ! J’ignore quelle est la portée des senseurs ennemis, mais nous allons faire comme si les pirates disposaient du dernier cri en la matière. Nous approcherons donc le vaisseau à cette limite, puis nous sortirons avec des scaphandres équipés de moteurs directionnels. Nous serons trop petits pour être repérés et nous pourrons ainsi atteindre l’infrastructure en orbite.
– Une telle approche va vous prendre des jours, maître Jedi ! s’inquiéta Varek.
– Pas si nous prenons une bonne impulsion de départ. Pourquoi ne pas nous faire éjecter du navire par les tubes lance-torpilles ?
– Par les… ? Vous êtes dingue, vous allez être déchiquetés par l’onde de choc !
– Moi, ce plan me botte, rétorqua Finis, imperturbable mais l’œil brillant. Ma maîtrise de la Force peut juguler l’onde de choc, j’en suis convaincu. Allons nous préparer, Jocasta ! Pilote, calculez-nous une trajectoire et une estimation du temps nécessaire pour voyager en scaphandre du vaisseau à la station orbitale.
L’enthousiasme de Finis n’empêcha pas Jocasta de blêmir. Jouer à la torpille humaine n’était pas une idée qui aurait pu lui venir à l’esprit. Trop irrationnelle… était-ce la raison pour laquelle elle plaisait tant à son maître ?
Voir le pilote marmonner tout en se livrant à ses calculs complexes ne fit rien pour rassurer Jocasta.
*
**
– Détends-toi, Jocasta. Tes sentiments te trahissent.
La jeune padawan s’obligea à ouvrir les yeux en entendait les paroles de son maître, même si elle n’en menait pas large. L’angoisse l’étreignit à nouveau en voyant qu’elle filait toujours à travers les étoiles dans un silence sépulcral.
– Il nous reste encore combien de temps avant d’arriver ? demanda-t-elle d’une voix rauque.
– Je dirais une paire d’heures. Tu n’as rien à craindre, je contrôle nos trajectoires respectives. Respire à fond, et profite de la vue exceptionnelle qui nous est offerte. N’éprouves-tu pas un sentiment de plénitude face à la magnificence de l’espace ?
– J’expérimente surtout la peur, maître. Nous ne sommes rien ici. Seuls nos scaphandres nous séparent de la mort, et je trouve cela extrêmement déstabilisant.
– Dompte ta peur, Jocasta. Nous sommes des Jedi, nous devons apprendre à vivre avec. Ce n’est que ta première mission, mais il faut que tu comprennes le plus vite possible que nous autres Jedi vivons en permanence sur la corde raide.
– Comment parvenez-vous à rester fonctionnel en sachant que tout peut s’arrêter n’importe quand ?
Finis Extor était un Jedi expérimenté, toujours au cœur des événements. D’une efficacité redoutable, il ne se posait plus de questions sur sa manière d’être depuis des années. Avoir une padawan était donc rafraîchissant : pour répondre à ses questions, il était obligé de s’auto-analyser et de disséquer ses propres actes. Cela n’était pas pour le déplaire, car il en apprenait beaucoup sur lui-même, et lui faisait prendre conscience à quel point il avait été seul durant toutes ses années ininterrompues de missions.
– Il n’y a pas de mort, il y a la Force, répondit-il. Tu connais bien entendu ce mantra, mais tu ne l’as jamais expérimenté. Chaque être est un ensemble de particules. À notre mort, nous cessons d’exister, mais nos particules, même dissociées, sont toujours là. Elles s’aggloméreront avec d’autres et qui sait, peut-être donneront-elles à nouveau naissance à la vie ?
– Je ne comprends pas.
– Les êtres que nous sommes ne sont pas une fin, mais une étape. Nous sommes ce que nous sommes ici et maintenant, mais hier nous étions autre chose, et demain nous serons à nouveau différents. Seule l’impermanence est permanente, Jocasta. Nous existerons toujours, sous une forme ou une autre. Donc la mort n’est pas à redouter, elle n’est qu’une étape de notre évolution.
– Veuillez m’excuser, maître, mais j’ai conscience d’exister ici et maintenant. Ce n’était pas le cas avant cette vie, avant que mes particules, comme vous dites, n’adoptent ma forme actuelle. Et ce ne sera plus le cas après ma mort. Alors oui, je suis attachée à cette vie, et oui, j’ai peur de la perdre.
– Et tu as en partie raison, Jocasta. Nous vies importent car elles peuvent faire la différence. En tant que Jedi, nous sommes les défenseurs de la paix, car elle favorise la vie. Chaque être vivant est doté d’un instinct de survie, qui le pousse parfois à tout faire pour continuer à exister. Mais la galaxie impose des rapports de force bien inégaux. Comment un être peut espérer survivre face à une bombe, face à un tir de blaster, face à la guerre ? La plupart des gens sont désarmés et se contentent de subir les événements. Nous, nous avons la Force, et elle permet de faire une différence primordiale. Grâce à nos dons, nous pouvons faire pencher la balance, aider le faible, mettre hors d’état de nuire ceux qui abusent de leur force et de leur pouvoir.
– Je comprends cela, maître. Mais notre vie n’en est que plus dangereuse. Comment tenir la peur de la mort éloignée ?
– Les Jedi vivent pour servir, voire pour mourir. Et cette notion de service est primordiale. En nous mettant en danger mortel lors de nos missions, nous permettons de préserver la vie. Les causes que nous défendons transcendent nos simples existences. À chaque fois que je reçois de nouveaux ordres, la première chose que je me dis est :
Voilà qui a l’air compliqué, je pourrais même en mourir. La deuxième chose qui me vient alors à l’esprit est :
C’est une cause juste, qui vaut que je mette ma vie en balance. À partir de là, c’est un jeu d’enfant de laisser sa peur de côté et d’agir.
– Je vois… Dans ce cas précis, notre mission consiste à sauver un sénateur. En quoi est-ce une noble cause ? Nous risquons deux vies de Jedi pour sauver celle d’un seul homme, qui pourrait aisément être remplacé par un de ses pairs.
– Arrogante padawan qui estime que sa vie est plus importante que celle d’un autre… ricana Finis.
Jocasta s’empourpra.
– Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a qu’une seule personne à sauver. Est-ce que ça vaut le coup d’impliquer des Jedi ?
– La question ne se pose même pas. En quoi sauver cent personnes d’un coup serait plus jediesque que de sauver cent personnes une à une ?
– Ce ne le serait pas, maître. Ce serait juste… plus glorieux, comprit Jocasta.
– C’est vrai. Et tu peux tout de suite oublier la gloire en question, elle est hors de propos en ce qui concerne les Jedi. Nous faisons ce que nous avons à faire, non pas pour notre orgueil personnel ni pour acquérir de la renommée, mais pour incarner au mieux notre idéal de Jedi.
– Soit. Mais si notre but est de venir en aide aux faibles, comment se fait-il que nos missions soient si souvent liées à des problèmes politiques ? Ne serait-il pas plus noble d’aider des gens dans la misère plutôt que des sénateurs de la République ?
– Les Jedi ont toujours été peu nombreux, nous ne pouvons pas être présents sur tous les fronts. La République est le symbole de la civilisation, elle cherche à préserver ses membres, à faire reculer la misère, à promouvoir la paix. C’est elle qui agit sur la vie quotidienne de milliards d’êtres, c’est elle qui les aide du mieux qu’elle peut. Notre rôle de Jedi est d’épauler et de protéger la République pour qu’elle applique ses idéaux –
nos idéaux – au plus grand nombre.
– Chacun occupe la place où il est le plus efficace, comprit Jocasta.
– Exactement ! La République, comme la Force, est une grande et belle chose qui nous dépasse, et que nous devons servir au mieux de nos capacités. Parce que c’est une noble cause qui place la prospérité des êtres au cœur de ses principes.
– Donc s’en prendre à un sénateur, c’est s’en prendre à la République, d’où notre intervention ?
– Oui. Nous devons montrer que nul ne peut s’en prendre impunément aux représentants de la République. Si un commando intervenait pour libérer Garth Arriban, les chances de survie du sénateur seraient bien maigres, et tout cela finirait probablement dans un bain de sang, avec des victimes collatérales. Alors qu’une approche discrète de la part de Jedi peut permettre de le sauver.
– Et les pirates de Corcxus, dans tout ça ?
– Ils ne sont pas notre problème. Le sénateur leur sert de garantie. Tant qu’ils l’ont, personne ne prendra le risque de les attaquer. Mais dès que aurons sauvé Arriban, nous relaierons l’information auprès de la flotte, qui est en chemin et se postera en lisière du système en attendant notre message. Une fois que les Pirates de Corcxus n’auront plus le sénateur et qu’ils sauront qu’une flotte est en orbite, ils tenteront de fuir… et seront arrêtés voire détruits. Nous aurons donc préservé directement la vie d’un dignitaire de la République, et indirectement démantelé une organisation pirate.
– J’avoue que je n’avais pas réfléchi à toutes les implications de la mission, maître, avoua Jocasta, contrite.
– C’est normal, tu n’es qu’à l’aube de ta carrière de Jedi. L’expérience vient avec le temps.