Spoileux extrême Star Wars Episode III : la Revanche des Sith constitue à la fois un aboutissement, une pièce maîtresse et un commencement pour George Lucas. Aboutissement, par sa richesse et sa profondeur. Pièce maîtresse, par sa position dans la saga et son thème. Commencement, par ce qu'il annonce pour le futur de Lucas.
Lucas ne cache pas qu'il souhaite revenir au cinéma d'avant-garde qui a fait de lui, au départ, le sublime artiste de THX 1138. On sait maintenant que cette recherche d'expérimentation, de justification artistique voire auteuriste - mais d'une manière telle que le terme n'a absolument rien de péjoratif - a commencé dès 1999. Avec la lente construction d'une nouvelle trilogie, radicalement opposée à la première, baroque, fastueuse, et beaucoup plus personnelle, profonde et politique. L'odyssée de Luke Skywalker se faisait à travers la Force et dans les arcanes de la religion dans ce qu'elle a de mythologique. Celle d'Anakin se fait à travers les mythes politiques. Cette trilogie est une parabole de l'Histoire, qui a généralement la suprématie sur l'Homme - du moins jusqu'à ce que Luke Skywalker, en refusant la fatalité du Destin (1) qui devait le conduire à tuer lui-même son père, démontre le contraire.
La Revanche des Sith est sans doute le morceau le plus inclassable des trois films réalisés. A priori, on a du mal à penser qu'il ait été réalisé par George Lucas, lui qu'on connaît plus à l'aise dans les monochromes blancs, voire même qu'il s'agisse bien d'un Star Wars. Les quelques animatiques réalisées par Steven Spielberg pour des scènes d'action du film (a priori d'ailleurs, seule la scène du combat entre Yoda et Sidious) suffisent à nous induire en erreur tant la modernité de la mise en scène de l'Episode III saute aux yeux: caméras à 360°, mouvements inouïs. Steven Spielberg prend, en quelque sorte, sa "revanche" sur son copain George, auquel il reprochait depuis 1977 de "laisser sa caméra sur son pied, de la lancer et de ne plus y toucher". Cela suffit, également, pour s'interroger de la pertinence de la recherche de cette modernité, alors que par ailleurs la Revanche des Sith est plus "péplum" que jamais (les scènes filmées par Lucas sont ultra-classiques, plans fixes et légers zooms); rappelons que la mise en scène des Episodes I et II est très inspirée par les films de légionnaires et d'intrigues de palais des années 50. La fureur de la Guerre des Clones n'est qu'un passage. L'Episode IV sera tout aussi statique que le II.
C'est un coup double. En réalisant une sorte de péplum dans au minimum toute la première partie, George Lucas, non seulement opère un parallèle direct entre son film et la chute de la République romaine, mais en fait aussi un space-opera classique à l'état pur; à grands coups de décors antiques, de splendides peintures numériques, de mondes complexes ethnologiquement crédibles, il magnifie le concept, autrefois très limité par les budgets des séries B, des aventuriers en lutte contre des civilisations extraterrestres qui n'avaient que peu de différences avec les héros gréco-romains d'une autre catégorie de série B en vogue à la même époque.
Mais on peut parler également de la chute de Weimar, du 18 Brumaire... Le propos politique de George Lucas, comme dans l'ancienne trilogie le parcours héroïque, utilise des ficelles non pas visibles, mais montrées. Poussé à l'abstraction, le récit dévoile alors son universalité, par-delà l'Histoire, les cultures; il ne touche plus qu'à l'inconscient humain. Luke n'était pas UN héros mais LE Héros, une figure archétypale. De même, Palpatine est-il LE Dictateur (2), la Galaxie est LE monde dans lequel nous vivons, que nous soyions Américains, Asiatiques, Africains... THX 1138 était moins une description sociale que la restitution plastique du bouillonnement intérieur de George Lucas. De même Star Wars n'est que le produit de son esprit. La lucidité de l'auteur est telle qu'elle lui permet d'embrasser des ensembles de concepts, un Tout. Il ne montre pas ce qu'il voit, mais ce qu'il pense. Ainsi procède-t-il pour toucher à chacun de nous.
L'autre gageure était de raccorder la nouvelle trilogie à l'ancienne. Aussi inattendu que cela paraisse - ce n'était pas gagné, et le scepticisme était légitime - l'Episode III et l'Episode IV se raccordent de manière quasiment parfaite. Les multiples références comme le vaisseau de Bail Organa y aident beaucoup. Mais il s'agit aussi d'une question de style. C'est précisément leur différence extrême qui permet leur continuité: après la fureur, la noirceur, la violence de la Revanche des Sith, l'innocence, la fraîcheur et l'humour tout disneyiens d'Un nouvel espoir résonnent comme une bouffée d'air frais. On comprend enfin toute la signification de ce titre donné par George Lucas au film originel en... 1978. Et le gigantesque "effet Kouletchov" que la nouvelle trilogie instille à l'ancienne se met doucement en place.
Concernant l'Episode III, seul, il faut d'abord répondre aux critiques: ce qui n'y ont vu ni humour (les scènes avec R2 au début...), ni dialogues (assez fonctionnels mais très riches), n'ont apparemment pas vu le film. Ceux qui réclamaient un épisode réellement noir, "the darkest of the darker", sont plus que servis. Le scénario est, de manière incontestable, excellemment mené, ne répond pas à toutes les questions des films précédents (le mystère de l'armée des Clones et de maître Sifo-Dyas n'est apparemment résolu que dans les romans), mais déborde d'action, bien davantage que n'importe quel autre. Bien que la majeure partie se déroule sur Coruscant, le montage extrêmement rapide - et il le faut pour faire rentrer une telle masse narrative sur 2h20 ! - ne laisse aucun temps mort, aucune longueur. Il n'est pas non plus clippé ou empêchant d'apprécier pleinement le déroulement de l'histoire. Enfin, les acteurs sont tous très bons, Hayden Christensen étant à peu près au même niveau que sa précédente prestation, mais beaucoup plus libéré ici, dans tous les sens du terme.
Il est remarquable de constater que Lucas est capable également de manier l'ironie à son profit - c'est-à-dire de détourner le ridicule qu'on reproche à ses films afin de l'organiser de manière volontaire. Ainsi le cas du Général Grievous. Ultime méchant de la prélogie, ce chef de guerre robot, mécanisé, forme le troisième tiers du Seigneur Vador, les deux autres étant constitués de la puissance servile et effrayante de Darth Maul et des manières aristocratiques et politiques du Comte Dooku. Lucas sait pertinemment qu'on surnomme Vador "l'Asthmatique". Fort logiquement, Grievous tousse à en cracher des poumons que, justement, il n'a pas - toute son architecture est organisée autour d'un coeur organique, symbolisant peut-être le "bon" que Luke décelait en Vador dans le Retour du Jedi là où Obi-Wan ne voyait plus qu'une machine. Mais Obi-Wan achèvera ce bon, tandis que Luke s'acharnera à le développer afin de ramener son père aux bons sentiments...
Quant aux Wookiees, il ne forment pas un vrai parallèle avec les Ewoks : ils n'apparaissent que très courtement et le rôle du brave Chewbacca se réduit à celui de caméo. Le couple C3PO/R2-D2 est aussi brisé que celui d'Anakin et Padmé, les scènes comiques étant l'apanage de l'astromech.
Autre contrepied : la musique de John Williams. Il était facile d'imaginer que le plus grand compositeur classique de l'histoire du cinéma farcirait son score du thème de Dark Vador - la Marche Impériale - et du thème de l'Empereur. Grave erreur : cette BO est la moins leitmotivée de toute la saga. John Williams délaisse les personnages, comme si leurs thèmes, loin de les renforcer, affaiblissait la portée que leur donne le scénario; il privilégie les ambiances, les morceaux d'action, le caractère global du film, plus uni, plus homogène que son référent direct (le Retour du Jedi) ; il s'associe, en revanche, à l'entreprise de "pontage" entre les deux trilogies, en introduisant les célèbres thèmes de Luke et de Leia à la fin du film.
Bien entendu, le film n'est pas parfait, et on lui trouvera facilement des reproches formels, sur des détails. Jar-Jar Binks, pour une fois, sera exempté de toute critique : il n'a que deux apparitions et aucune ligne de dialogue dans le film. Certains regretteront le traitement du personnage de l'Empereur qui fait que Ian McDiarmid a peut-être une prestation moins fine que dans les Episodes I et II. Les autres acteurs sont excellents. Aucune grossiereté n'est permise, aucune faute de goût. Du moment, bien sûr, qu'on s'est habitué à voir Yoda sautiller partout ! De nombreuses scènes sont déjà anthologiques: Anakin menant les Clones à l'assaut du Temple Jedi pour une grande purge; le fameux duel des héros; la naissance des jumeaux... Par contre, la fin laisse une impression curieuse. On a la sensation que George Lucas n'a pas vraiment su comment conclure son film, le générique semblant arriver alors que nous sommes encore en pleine action. Comme si le cliffhanger de mise était déjà en route... vers de nouvelles aventures.
(1) Etrange utilisation du concept de Destin. George Lucas le rend omniprésent dans sa nouvelle trilogie, via les récurrences du morceau musical "Duel of the Fates", pour la simple et bonne raison que l'avenir est effectivement "déjà écrit" dans les Episodes 4, 5 et 6. En exploitant sous de nombreux angles l'idée de fatalité, il donne ainsi corps à une notion, à l'origine, purement empirique.
(2) Ce qui n'empêche pas Lucas de planter cinématographiquement son récit via des références concrètes. Le général Grievous, la création de Dark Vador renvoient à des films tels que Nosferatu ou Frankenstein; et par extension, à l'ensemble du cinéma expressioniste fantastique qui, dans les années 20-30, faisait état des peurs préludant à la montée du nazisme et des totalitarismes.